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j’étais. Il nous arriva dans cette circonstance, comme dans plusieurs autres, que nous échangeâmes en silence un regard qui nous disait à l’un et à l’autre un million de choses. M. Falkland changea plusieurs fois de couleur. Je compris parfaitement ce qui se passait dans son âme, et j’aurais voulu me retirer ; mais cela m’était impossible : mes passions étaient trop fortement engagées ; j’étais cloué à ma place ; quand il se serait agi de ma propre vie, de celle de mon maître, ou presque du sort de tout un peuple, je n’aurais pas été le maître de changer de lieu.

Toutefois, le premier mouvement de surprise étant calmé, M. Falkland prit un air de résolution et d’assurance, et il parut conquérir plus d’empire sur lui-même qu’on n’aurait pu l’attendre de son entrée. Vraisemblablement il serait venu à bout de soutenir ce rôle jusqu’à la fin, si ce n’est que la scène, au lieu d’être continue, fut en quelque sorte perpétuellement changeante. L’homme qui était amené devant lui était vivement chargé par le frère du mort d’avoir agi avec la méchanceté la plus noire. Celui-ci déclara sur son serment qu’il avait existé une rancune d’ancienne date entre les parties, et il en rapporta plusieurs exemples. Il affirma que le meurtrier avait cherché l’occasion de satisfaire sa vengeance, qu’il avait porté le premier coup ; et, quoique en apparence la contestation ne fût qu’un simple défi ordinaire à coups de poing, qu’il avait guetté le moment pour frapper un coup mortel qui avait tué presque aussitôt son adversaire.