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même ; mais c’est ainsi que l’homme est fait. À juger sur les apparences, on aurait dit :

« Voilà un brave homme, capable de supporter, avec un cœur incorruptible, la bonne et la mauvaise fortune. » Et pourtant, voyez où tout cela aboutit ! Ce même homme a pu devenir ensuite un meurtrier, et finir ses jours au gibet. Ô pauvreté ! on peut dire que ton influence est toute-puissante ! Tu nous brises l’âme par le désespoir ; tu détruis en nous nos principes les plus chers et les plus profondément enracinés ; tu nous remplis de vengeance et de méchanceté, et tu nous rends capables des actions les plus atroces. Puissé-je ne jamais sentir ta funeste puissance dans toute son étendue.

Après avoir contenté ma curiosité, j’eus soin de déposer cette lettre de manière à ce qu’elle pût être trouvée par M. Falkland, en même temps que, par une suite du sentiment qui me dominait alors, je voulais qu’en frappant son attention ce papier lui fît naître l’idée qu’il avait pu passer par mes mains. Je vis M. Falkland le lendemain matin ; et, quand la conversation, que je n’étais déjà plus embarrassé d’entamer, fut une fois en train, je m’arrangeai pour l’amener insensiblement au point où je la voulais. Après beaucoup de questions, de répliques et de précautions oratoires, je continuai ainsi :

« En vérité, monsieur, quand je réfléchis à la nature humaine, je ne puis m’empêcher de voir avec peine qu’il n’y a pas de fond à faire sur sa constance, et qu’au moins, parmi les gens sans éducation et