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qu’il a voulu donner aux hommes, malgré eux, la sagesse et le bonheur. Mais ce qu’il y a de pire, monsieur, cet Alexandre, dans les accès de sa fureur aveugle, n’épargnait ni amis ni ennemis. Vous n’entendez sûrement pas justifier les excès de cette colère qu’il ne pouvait réprimer. Il est impossible de dire un mot en faveur d’un homme qui, pour une provocation passagère, se laisse entraîner à commettre des meurtres. »

À l’instant que j’eus laissé échapper ces paroles, je sentis ce que je venais de faire. Il y avait entre mon maître et moi une sorte de sympathie magnétique, en sorte qu’elles n’eurent pas plus tôt fait leur effet sur lui, qu’aussitôt ma conscience me reprocha la barbarie de l’allusion. Nous restâmes confondus l’un par l’autre. J’avais l’œil sur M. Falkland ; je vis à travers son teint transparent le sang disparaître et revenir tout à coup avec rapidité et violence. Je n’osais pas proférer une syllabe, dans la crainte de commettre une faute encore pire que celle dans laquelle je venais de tomber. Après un effort court, mais pénible, pour continuer la conversation, M. Falkland reprit d’une voix tremblante, en se calmant peu à peu :

« Vous n’êtes pas de bonne foi… Alexandre… Il faut mettre plus d’indulgence… Je veux dire qu’Alexandre ne mérite pas d’être traité aussi sévèrement. Rappelez-vous ses larmes, ses remords, et cette résolution de ne plus prendre de nourriture,