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pour avoir défendu vaillamment leur pays ! Il faut vraiment que l’homme soit une créature d’une espèce bien étrange, de ne jamais prodiguer plus d’éloges qu’à celui qui a semé la destruction sur la face de la terre.

— Votre façon de penser, Williams, est assez naturelle, et je ne saurais vous en blâmer : mais permettez-moi d’espérer que vous en viendrez à une manière plus large et plus libérale d’envisager les événements. C’est une chose très-révoltante au premier coup d’œil que la mort de cent mille hommes ; mais, dans la réalité, est-ce que cent mille hommes de cette espèce sont plus qu’un troupeau de cent mille animaux ? C’est l’homme moral et intellectuel, Williams, c’est la génération des vertus et des connaissances humaines qui a des droits à notre amour. Là était la grande idée d’Alexandre ; il entreprit le vaste dessein de civiliser l’espèce humaine ; il délivra l’immense continent de l’Asie de l’abrutissement et de la dégradation, en renversant la monarchie des Perses ; et, quoiqu’il ait été arrêté par la mort au milieu de sa carrière, nous pouvons encore voir aisément les grands effets de cette sublime entreprise. La littérature et la politesse grecques, les Séleucides, les Antiochus et les Ptolémées parurent après lui parmi des peuples qui jusque-là avaient été réduits à la condition des brutes. Alexandre n’est pas moins connu pour avoir fondé des villes que pour en avoir détruit.

— Avec tout cela, monsieur, j’ai bien peur que la pique et la hache ne soient pas les instruments pro-