Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/185

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pensez-vous que je ne saurai pas supporter les faibles atteintes de votre grossière démence ? Peut-être est-ce une partie des perfections de l’homme de savoir bien défendre sa personne ; mais que les occasions d’exercer ce talent sont rares ! Si l’on réglait sa conduite sur des principes de raison et de bienveillance, qu’on serait peu exposé à d’injustes agressions comme les vôtres ! D’ailleurs, cette science une fois acquise, quel grand avantage en pourrait-on retirer ? L’homme né avec une constitution faible, délicate, y apprendrait-il à se mesurer à forces égales avec l’athlète leste et vigoureux ? Et quand même cette science me servirait à me garantir à un certain point de la brutalité d’un seul adversaire, ma personne et ma vie, sous le seul rapport de la force, seront toujours à la merci de deux agresseurs. Excepté le cas d’une défense immédiatement opposée à une violence actuelle, cette science ne pourrait pas être mise en usage. L’homme capable d’aller de propos délibéré à la rencontre de son ennemi, dans la vue d’exposer la vie de l’un ou de l’autre, foule aux pieds tous les principes de la raison et de la justice. En acceptant un duel, je deviens le plus méprisable des égoïstes ; je compte pour rien la société tout entière qui a droit à l’exercice de mes moyens et de toutes mes facultés, tandis que je me regarde moi-même ou plutôt une chimère incompréhensible que j’incorpore avec moi-même, comme l’unique et l’exclusif objet de mon attention. Je ne suis pas en état de