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traits dans le cœur, et qui se faisait une affreuse dérision de ses souffrances.

Il y avait une autre réflexion qui ajoutait à ses angoisses, et qui le poussait à prendre des partis désespérés. Il ne pouvait pas se dissimuler que cet événement allait porter un coup mortel à sa réputation. Il avait pensé qu’Émilie, après avoir subi cet odieux mariage, se verrait obligée par décence à jeter un voile sur l’acte de violence qui l’aurait précipité. Mais cette garantie lui était ravie, et M. Falkland n’allait pas manquer de publier son déshonneur pour en nourrir son propre orgueil. Quoique dans son opinion particulière la manière dont il avait été provoqué par miss Melville fût bien suffisante pour justifier tous les traitements qu’il pouvait juger à propos de lui infliger, il sentait fort bien que le monde verrait l’affaire sous un autre jour. Cette réflexion l’excitait à des mesures encore plus violentes, et elle le détermina à prendre tous les moyens possibles de verser sur quelque victime les poisons qui dévoraient son cœur.

Cependant, dès qu’Émilie s’était crue dans un lieu de sûreté, son sang-froid et son intrépidité avaient commencé à l’abandonner. Tant qu’elle s’était sentie exposée aux menaces du danger et de l’injustice, elle avait trouvé dans son âme un courage qui dédaignait de plier. Le calme apparent qui succéda à ses agitations lui fut plus funeste. Elle n’avait plus d’aliment pour son courage, d’aiguillon pour son énergie. Ses pensées se reportaient sur les épreuves par lesquelles elle avait passé, et son âme