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âme était mal disposée à l’harmonie, et il ne prenait pas cette fois grand plaisir à la musique. Mais Émilie semblait avoir dans les doigts plus de légèreté et de talent qu’à l’ordinaire. L’idée de la cause qu’elle avait à plaider exaltait vraisemblablement son âme ; et, comme elle se sentait le courage d’affronter l’indigence, elle ne se laissait pas abattre par la crainte. M. Tyrrel ne pouvait quitter la chambre. Il la traversait d’un pas impatient ; un moment après, son œil menaçant se fixait sur la pauvre innocente, qui ne pensait qu’à lui plaire ; enfin il se jeta dans un fauteuil vis-à-vis d’Émilie les yeux tournés vers elle. Il était aisé de suivre la marche des émotions qu’il éprouvait successivement. Son front se dérida peu à peu ; ses traits s’éclaircirent, le sourire parut y naître ; la tendresse avec laquelle il avait autrefois regardé sa cousine semblait revivre dans son cœur.

Émilie guettait le moment. Dès qu’elle eut fini le morceau qu’elle jouait, elle se leva et s’approcha de M. Tyrrel.

« N’ai-je pas bien joué ? Qu’allez-vous me donner pour récompense ?

— Pour récompense ? allons, venez, je vais vous embrasser.

— Bon ! ce n’est pas là mon compte. Pourtant il y a bien des jours que vous ne m’avez embrassée. Autrefois, vous m’aimiez bien, vous m’appeliez votre Émilie. Je suis bien sûre que vous ne m’aimiez pas plus que je vous aimais. Est-ce que vous voudriez me rendre malheureuse, dites ?