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shelling dans le monde, et, par-dessus le marché, je suis à demi mort de faim. — Pas un shelling ! reprit mon adversaire, c’est-à-dire donc que tu es pauvre comme un voleur ? Mais, si tu n’as pas d’argent, tu as des habits, et il faut que tu t’en débarrasses.

— Mes habits ! m’écriai-je avec indignation ; il n’est pas possible que vous vouliez exiger pareille chose. N’est-ce pas assez que je sois sans argent ? J’ai été obligé de passer toute la nuit en plein air ; voici le second jour que je n’ai pas mangé un morceau de pain. Auriez-vous bien le courage de me laisser nu par le temps qu’il fait, au milieu de ce bois ? Non, non ; vous êtes de braves gens ; cette haine de l’oppression qui a armé vos mains contre l’insolence des riches vous dira de soulager ceux qui périssent de besoin comme moi. Pour l’amour de Dieu, donnez-moi quelque chose à manger ! Ne me dépouillez pas au moins du seul bien qui me reste ! »

Pendant que je leur adressais cette harangue avec l’éloquence improvisée du sentiment, il ne me fut pas difficile, malgré la faible lueur du jour, de m’apercevoir à leurs gestes que deux ou trois d’entre eux paraissaient disposés à prendre mon parti. L’homme qui s’était déjà constitué l’interprète de la troupe s’en aperçut comme moi ; et, soit par brutalité de caractère, soit par jalousie de pouvoir, il voulut s’épargner la honte d’avoir le dessous. En conséquence, il se hâta de prévenir les autres, en se ruant brusquement sur moi et en me repoussant