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projets à mon égard ; je ne savais s’il prenait seulement la peine de former un vœu stérile pour la conservation de celui dont il avait flétri l’avenir avec tant d’iniquité. Jusqu’à ce moment j’avais gardé le silence sur mon grand moyen de récrimination ; mais il n’était pas très-certain que je consentisse à périr en silence victime des artifices et de l’opiniâtreté d’un tel homme. De quelque côté que je sondasse mon cœur, je le trouvais partout ulcéré de l’injustice de mon oppresseur, et mon âme se révoltait à l’idée d’une lâche compassion au moment même où son inexorable vengeance cherchait à m’écraser.

Ces sentiments dictèrent ma réponse au geôlier, et je trouvai un secret plaisir à les laisser s’exhaler dans toute leur amertume. Je le regardai avec le sourire du sarcasme, et lui dis que j’étais ravi de le voir devenu tout à coup aussi humain ; que pourtant je savais un peu lire dans l’humanité d’un geôlier, et que je devinais bien comment la sienne lui était venue ; mais qu’il pouvait dire à celui qui le mettait en œuvre qu’il prenait une peine inutile ; que je n’accepterais jamais rien d’un homme qui avait machiné ma perte, et que j’avais assez de courage pour endurer mon mal à l’avenir comme à présent. Le geôlier me regarda d’un air étonné ; puis, en faisant une pirouette sur le talon : « À la bonne heure, mon jeune coq, s’écria-t-il, vous n’en avez pas tant appris pour rien, à ce que je vois. C’est fort bien d’avoir du cœur ; mais il y a temps pour tout, mon garçon : je crois que vous auriez mieux fait de