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de doute, quoique cet homme m’eût assuré le contraire, qu’elle ne procédait pas d’un mouvement spontané d’humanité de sa part ; mais que, pour parler le langage des gens de sa sorte, il avait de bonnes raisons pour agir ainsi. Je m’épuisais en conjectures sur l’auteur de cet acte d’attention et d’indulgence. Les deux personnes qui se présentaient à mon esprit étaient M. Falkland et M. Forester : je connaissais celui-ci pour un homme austère et inexorable envers ceux qu’il avait une fois jugés vicieux : il se piquait d’être inaccessible à ces mouvements de pitié qui ne sont bons, disait-il, qu’à nous faire manquer à notre devoir. M. Falkland, au contraire, était de la plus exquise sensibilité ; c’était là la source de ses plaisirs et de ses peines, de ses vertus et de ses vices. Quoiqu’il fût l’ennemi le plus cruel que j’eusse à redouter, et quoique aucun sentiment d’humanité ne fût capable de l’arrêter ou de le détourner le moins du monde de la marche qu’il s’était tracée, je le crus bien plus porté que son frère à s’occuper de ma captivité et à vouloir alléger mes souffrances.

Cette conjecture n’était pas de nature à verser du baume sur mes plaies. Je ne pensais à mon persécuteur qu’avec un mouvement de colère. Comment aurais-je pu voir d’un autre œil l’homme qui, pour contenter sa passion dominante, ne comptait pour rien ni mon honneur ni ma vie ? Je le voyais détruisant l’un et se jouant de l’autre avec un sang-froid et une tranquillité que je ne pouvais me rappeler qu’avec horreur. Je ne savais pas quels étaient ses