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peine était-il revenu à lui qu’il avait insisté pour être transporté au lieu de l’assignation avec toute la diligence possible. Dans l’état le plus désespéré, Falkland était encore lui-même, absolu dans ses volontés, et sachant se faire obéir de tout ce qui l’approchait.

Quel spectacle pour moi ! Jusqu’au moment où Falkland s’offrit à ma vue, mon cœur s’était dépouillé de tout sentiment de pitié. Je me figurais que j’avais pesé froidement les motifs qui me faisaient agir ; car la passion qui nous domine nous semble encore du calme et du sang-froid, quand elle est dans son état de véhémence et d’exaltation. Je me figurais avoir pris ma détermination avec justice et impartialité. Je pensais que, si M. Falkland avait la liberté de persister dans ses projets, alors nous nous trouvions l’un et l’autre voués pour jamais aux derniers des maux. Je trouvais qu’il était en mon pouvoir, au moyen du parti que j’avais adopté, d’écarter de moi ma part d’infortunes, sans que la sienne en fût à peine augmentée.

Ainsi c’était à mes yeux un acte de justice et d’équité, qui devait paraître tel à ceux de tout juge impartial, qu’il n’y eût qu’un malheureux au lieu de deux, qu’il ne se trouvât qu’une seule personne au lieu de deux hors d’état de remplir son rôle dans la société et de contribuer pour sa part au bien général. Il me semblait que, dans cette détermination, je m’étais élevé au-dessus de toutes considérations personnelles, et que les misérables suggestions de l’égoïsme n’avaient eu aucune influence sur mon