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sang est dans une fermentation continuelle. Mes pensées vont et viennent avec une rapidité incroyable d’une horrible image à une autre. Je n’ai plus de sommeil. À peine puis-je pendant deux minutes conserver la même posture. C’est avec une extrême difficulté que j’ai pu me contenir assez pour ajouter encore quelques pages à mon histoire. Mais, dans l’affreuse incertitude où je suis des événements qui peuvent se succéder d’un instant à l’autre, j’ai cru devoir me forcer moi-même à achever cette pénible tâche. Je ne me sens pas dans un état régulier. Comment ceci finira-t-il ? Dieu le sait. En vérité, il y a des moments où je tremble que ma raison ne m’abandonne tout à fait.

Quel sombre et mystérieux tyran ! quel barbare et implacable ennemi !… Est-il bien possible que les choses en soient venues là !… Quand Néron et Caligula tenaient le sceptre de Rome, il était terrible d’offenser ces maîtres sanguinaires. L’empire s’étendait déjà aux bouts du monde et embrassait les deux mers. Si leur malheureuse victime fuyait aux climats où l’astre du jour paraît sortir des ondes de l’Océan, le bras du tyran pouvait encore la saisir. Si elle volait à l’occident, si elle courait s’ensevelir dans les ténèbres de l’Hespérie ou dans les déserts glacés de Thulé, elle n’était pas encore à l’abri du pouvoir de son féroce ennemi… Falkland ! es-tu descendu de ces tyrans pour nous en conserver la vivante image ? L’univers et tous ses climats ont-ils donc été créés en vain pour ta malheureuse et innocente victime ?