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vitable. Partout où j’étais dénoncé, un abandon universel venait m’instruire de mon sort. Alors, tout retard n’eût servi qu’à augmenter le mal, et quand je fuyais, c’était la honte et la misère qui s’attachaient à mes pas ; mais je bravais encore tous ces maux. Tantôt l’indignation, tantôt une invincible persévérance me tinrent lieu de soutien, lorsque l’humanité laissée à elle seule eût probablement succombé.

On a déjà pu voir que je n’étais pas d’un caractère à endurer l’infortune, sans mettre en usage tous les moyens que je pouvais imaginer pour l’éluder ou la désarmer. En repassant dans mon esprit, comme j’en avais souvent l’habitude, les différents projets qui pouvaient améliorer ma situation, je vins une fois à me faire cette question : « Mais pourquoi me laisserais-je harceler toujours par ce Gines ? N’est-ce pas un homme opposé à un homme ? Et pourquoi ne viendrais-je pas à bout, en exerçant toutes mes facultés, de prendre l’ascendant sur lui ? Aujourd’hui il semble être le persécuteur et moi le persécuté ; cette différence n’est-elle pas tout entière dans mon imagination ? Ne puis-je pas employer toute mon industrie à l’inquiéter lui-même, à lui susciter mille difficultés, et à rire des embarras sans fin auxquels je vais le condamner à mon tour ? »

Hélas ! un esprit tranquille peut seul se permettre des suppositions semblables ! Ce n’est pas dans la persécution elle-même, c’est dans la catastrophe qui en est le terme que consiste la différence entre