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pas un endroit où son art diabolique ne trouvât le moyen de me créer de nouvelles tortures. Le moment où je ne le voyais pas sur mes traces était empoisonné par l’affreuse certitude de sentir sa présence l’instant d’après. Dans ma première retraite, j’avais été bercé pendant quelques semaines par une trompeuse sécurité ; mais je n’étais plus même assez heureux pour en saisir seulement l’ombre. J’ai passé des années dans cette affreuse vicissitude de tourments ; qu’on s’étonne donc si quelquefois la situation de mon esprit approchait de la démence.

Je ne me départis point de la conduite que j’avais d’abord adoptée. J’avais résolu de ne jamais entrer dans une discussion avec l’odieux Gines. À quoi m’aurait-il servi de chercher à établir ma défense ? L’histoire que j’avais à faire était incomplète ; si cette histoire, quoique mutilée et imparfaite, avait néanmoins paru satisfaisante à quelques personnes prévenues en ma faveur par un long commerce, je ne pouvais pas espérer qu’elle eût le même succès avec des étrangers. D’ailleurs, cette justification m’avait suffi tant que j’avais pu me soustraire à la vigilance de mes persécuteurs ; mais en serait-il de même à présent que je n’avais plus aucun moyen de les éviter, et que c’était en armant à la fois tout un pays contre moi qu’ils me faisaient la guerre ?

Il est impossible de se faire une idée de tous les maux qu’entraînait un pareil genre d’existence. Une aggravation continuelle des privations et des dégoûts de l’indigence en était la conséquence iné-