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d’une chose, c’est que la vie ne valait pas d’être achetée à si haut prix. Mais, quoique mon parti fût irrévocablement pris sur ce point, il y avait un autre article qui ne me paraissait pas aussi important, et sur lequel j’étais décidé à passer condamnation dans les circonstances où je me trouvais. L’expédient peu noble de se donner un faux nom était une mesure à laquelle je me soumettais volontiers, si elle pouvait m’assurer la tranquillité.

Mais le changement de nom, les émigrations brusques et furtives d’un lieu à un autre, la distance et l’obscurité des retraites, toutes ces précautions étaient insuffisantes pour éluder la sagacité de Gines ou pour lasser l’inexorable constance avec laquelle M. Falkland excitait ce génie infernal à ma poursuite. Quelque part que je me retirasse, il ne se passait pas longtemps sans que j’eusse occasion de voir sur mes traces cet infatigable démon. Je n’ai pas de mots pour rendre les sensations que produisit dans mon cœur cette persécution opiniâtre. Il était pour moi ce qu’on a dit de l’œil toujours ouvert qui suit partout le coupable pécheur, et dont l’éclair réveille en lui l’aiguillon du remords, chaque fois que la nature épuisée semble vouloir assoupir un moment le tourment de sa conscience. Le sommeil avait fui de mes yeux ; il n’y avait plus de repos pour moi, plus de soulagement d’aucun genre ; jamais je ne pouvais compter sur un instant de sécurité ; jamais il ne m’était donné de reposer ma tête une seule minute dans le sein de l’oubli. Il n’y avait pas de murailles qui pussent me dérober à sa surveillance,