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retirer dans quelque lieu éloigné, bien champêtre, au sein de la paix et de l’obscurité, où, pendant au moins quelques années, peut-être pendant la vie de M. Falkland, je pourrais me cacher du monde entier, oublier mes funestes relations avec lui, laisser cicatriser les blessures qu’elles avaient faites à mon âme, diriger et mettre en ordre les nombreux matériaux de mon expérience, cultiver le peu de talents que je possédais, et employer les intervalles de ces occupations à l’exercice d’une innocente industrie et au commerce de quelques bonnes âmes sans culture et sans artifice. Les menaces de mon persécuteur semblaient me prédire la ruine inévitable de cet heureux plan de vie. Mais il me semblait plus sage de mettre ces menaces tout à fait hors de compte. Je les comparais à la mort, qui infailliblement doit nous atteindre sans que nous en sachions le moment, mais dont l’arrivée, possible cette année, cette semaine, demain même, n’entre jamais dans les calculs d’un homme qui conçoit une entreprise, quelque importante qu’elle puisse être.

Telles furent les idées qui déterminèrent mon choix. Ainsi ma confiante jeunesse disposait déjà d’un long avenir dans les plans qu’elle traçait, tandis que l’annonce des malheurs dont j’étais à chaque instant menacé résonnait encore à mon oreille. J’étais endurci à la crainte et aux alarmes ; le bruissement des vents, précurseurs de la tempête, n’avait pas même le pouvoir de troubler ma tranquillité. Néanmoins, tant que je devais encore me croire dans la sphère de mon ennemi, je jugeai nécessaire