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— Monsieur, lui dis-je, je vous ai écouté jusqu’au bout, et je n’ai pas besoin de réfléchir sur votre proposition pour vous faire une réponse négative. Vous m’avez pris avec vous lorsque j’étais encore dans la simplicité de la jeunesse et de l’inexpérience, tout disposé à recevoir la forme qu’il vous plaisait de m’imprimer. Mais, dans un espace de temps bien court, vous m’avez donné des siècles d’expérience. Vous ne me trouverez plus souple et irrésolu. Je ne sais ce que veut dire le pouvoir que vous prétendez avoir encore sur ma destinée. Vous pouvez m’exterminer ; mais vous ne pouvez plus me faire trembler. Je m’inquiète peu de savoir si c’est à dessein ou autrement que vous avez versé sur moi les maux que j’ai soufferts, si vous êtes l’auteur direct de mes malheurs, ou si vous n’avez fait qu’y participer. Tout ce que je sais, c’est que j’ai été trop cruellement tourmenté par rapport à vous, pour que je puisse vous reconnaître quelque droit à exiger de moi le moindre sacrifice volontaire.

» Vous dites que la bienveillance et l’humanité me demandent ce sacrifice. Non, monsieur. Ce serait sacrifier à votre aveugle et fol amour de renommée, à cette funeste passion qui a été la source de tous les maux qui vous affligent, des tragiques catastrophes dont d’autres ont été victimes, et de cet abîme d’infortunes où vous m’avez précipité. Je n’ai pas de modération à exercer envers une telle passion. Si vous n’êtes pas encore guéri de cette sanguinaire et affreuse démence, au moins ne ferai-je rien pour la nourrir. J’ignore si dès ma jeunesse