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menter mes souffrances. Depuis mon évasion, j’avais acquis quelque connaissance du monde ; une cruelle expérience m’avait appris jusqu’à quel point la société me pressait de ses chaînes et le despotisme m’enveloppait de ses piéges. Je ne voyais plus la scène du monde telle que mon imagination se l’était figurée au milieu des illusions de ma jeunesse, comme un théâtre ouvert au talent et au génie pour s’y montrer ou se cacher à leur gré. Tous les hommes n’étaient plus à mes yeux qu’autant d’instruments voués d’une manière ou d’autre au service de la tyrannie. L’espérance était anéantie au fond de mon cœur. La première nuit où je fus enfermé dans mon cachot, je fus saisi par l’accès d’une sorte de frénésie. De temps en temps, au milieu du silence absolu qui m’environnait, je laissais éclater malgré moi les gémissements que m’arrachait le désespoir. Mais cette aliénation d’esprit ne fut que passagère. J’en revins bientôt à jeter un œil plus calme sur mes infortunes. J’avais devant moi une perspective plus noire, et ma situation semblait plus désespérée que jamais. Je me vis encore une fois exposé, si cette circonstance valait la peine d’être comptée parmi mes maux, à l’insolente et barbare tyrannie qui s’exerce uniformément sur les habitants de ces tristes demeures. Pourquoi répéter encore le long et fastidieux récit des souffrances que j’eus à endurer, et qu’endure tout homme assez malheureux pour tomber au pouvoir de ces ministres inhumains de la jurisprudence nationale ? Quand même j’eusse été coupable de