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pouvais y voir, les circonstances me paraissaient fort indifférentes, et il me semblait que la frayeur de Mrs. Marney ne provenait que de l’extrême prévoyance et de l’affection de cette excellente femme. Tel était néanmoins le malheur de ma situation, que je n’avais pas à choisir. Que ma tranquillité fût ou non menacée par cet événement, je me voyais obligé d’abandonner en un instant mon habitation, sans prendre avec moi autre chose que ce que je pouvais emporter dans mes mains ; de renoncer à voir davantage ma généreuse bienfaitrice ; de laisser là tous mes arrangements et mes petites provisions ; d’aller encore, dans quelque retraite isolée, recourir à de nouveaux projets, et chercher à faire, si je pouvais raisonnablement l’espérer, un nouvel ami. Je descendis dans la rue, le cœur gonflé ; mais mon parti était pris. Il était grand jour. « Je crains, me disais-je, qu’il n’y ait en ce moment des personnes qui rôdent dans les rues pour me chercher ; il est très-possible qu’elles dirigent leurs poursuites dans une autre route que la mienne ; mais je ne dois pas me fier à cette chance. » Je traversai donc cinq à six rues, et me glissai ensuite dans une maison de peu d’apparence où l’on donnait à manger à bas prix. J’y pris quelque nourriture, et, après y avoir passé plusieurs heures dans de profondes réflexions, je finis par demander un lit. Néanmoins, dès qu’il fit sombre, je sortis pour acheter l’attirail d’un nouveau travestissement, ce qui était absolument indispensable. Après l’avoir ajusté, pendant la nuit, du mieux qu’il me fut possible, je quittai ce