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l’esprit de vengeance dans une âme qui ne connaissait aucun frein d’humanité ni de conscience. Quand je repassais dans mon esprit tout ce qui m’avait conduit à mon dernier asile, je m’imaginais comme le font assez souvent les malheureux, que mon malheur ne pourrait jamais s’aggraver ; mais je me trompais : en rencontrant Gines dans la fatale forêt de… j’avais attiré à ma poursuite un second ennemi de l’espèce de ceux qui n’abandonnent leur rage qu’avec la vie. Si Falkland était pour moi le lion affamé dont les rugissements me frappaient d’effroi, Gines était un insecte venimeux presque aussi redoutable qui suivait mes traces et me menaçait continuellement de son mortel aiguillon.

Le premier pas qu’il fit pour exécuter son projet, fut de s’en aller au port de mer où j’avais été arrêté. De là, il suivit ma trace jusqu’aux bords de la Severn, et des bords de la Severn jusqu’à Londres. Il n’est pas besoin, je pense, de faire observer que rien n’est moins difficile que de suivre un fugitif quand il n’a pas couvert sa marche par des précautions parfaitement bien conçues, surtout si son adversaire est stimulé par des motifs assez puissante pour mettre toute la persévérance de la haine dans sa poursuite. Gines, il est vrai, fut souvent obligé, dans le cours de ses recherches, de faire de doubles marches ; et comme le chien de chasse, emblême véritable de l’homme qui se livre à ce cruel emploi, toutes les fois qu’il se trouvait en défaut, il retournait à la place où il avait senti la dernière