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Tous les hommes m’abandonnent ; tous les hommes me détestent. Des menaces de mort repoussent de moi toutes les sources de l’existence. Monde maudit, qui peux haïr sans cause et accabler l’innocence sous une masse de calamités trop affreuses pour le crime lui-même. Monde maudit ! monde inexorable où tous les yeux sont aveugles, où tous les cœurs sont de fer ! Pourquoi vivre plus longtemps avec toi ? Pourquoi traîner plus loin cette déplorable existence au milieu des repaires de ces tigres à face humaine ? »

Ce paroxysme de délire se consuma enfin de lui-même. Bientôt après je découvris une espèce de toit solitaire, où je m’estimai heureux de trouver un abri. Dans un coin de cet asile, il y avait un peu de paille fraîche. Je me débarrassai de mes guenilles et les plaçai de manière à ce qu’elles pussent sécher ; puis, m’enfonçant dans la paille, je me sentis bientôt enveloppé d’une chaleur douce et bienfaisante. Là je perdis par degré le sentiment de mes maux. C’est peu de chose en apparence qu’un abri avec de la paille fraîche, mais ces biens s’étaient offerts à moi au moment où je les attendais le moins, et ils avaient porté la joie dans mon cœur. Quoique en général accoutumé à un sommeil extrêmement court, il arriva cette fois que, par suite de la grande fatigue d’esprit et de corps que j’avais essuyée, je dormis jusqu’à près de midi du lendemain. Quand je fus levé, je trouvais que je n’étais pas à une grande distance du bac ; je le passai et entrai dans la ville où j’avais eu l’intention de coucher la nuit précédente.