Page:Godefroy - Histoire de la litterature francaise - XIX Prosateurs T2.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mme d’Arbouville vivait avec ses rêves, toujours élevés, toujours purs, et les continuelles aspirations de son âme vers les sphères supérieures ne lui laissaient rien voir des misérables fièvres de l’humanité ni des fanges de la terre ; elle ne concevait que le bien, ne croyait qu’au chaste, au beau, à l’immatériel. Tous ses personnages sont transfigurés par le sacrifice et par l’immolation ; partout le langage qu’elle leur fait tenir a la grandeur simple de leurs sentiments. Révélation touchante d’un talent d’autant plus vrai qu’il s’ignora toujours lui-même.


Le Bleuet de Gustave Haller, ou plutôt de Mme Gustave Fould[1], est un des plus gracieux épanouissements du roman sentimental, quoique l’idée mère n’en soit pas toute nouvelle. L’amitié peut-elle exister entre jeunes gens de différents sexes, complètement exempte de grossièreté ? Valérie Fould répond à cette question délicate et légèrement dangereuse, effleurée déjà par la Bruyère, par la marquise de Lambert et par Sainte-Beuve[2], en racontant l’histoire idéale de Franz Tillmann, qui poussa jusqu’aux dernières limites du dévouement son amitié pure, sans ombre, et cependant calomniée, pour Renée de B. Le Bleuet de Gustave Haller, dont la lecture serait profondément troublante pour bien des imaginations jeunes, mobiles et impressionnables, présente, en un langage délicatement réservé, mais pas toujours correct, une étude intéressante de cette manifestation originale du cœur humain.


Mme Rouvier, sous le pseudonyme de Claude Vignon, publiait en 1859 les Récits de la vie réelle[3], comprenant : Anna Bontemps, Adrien Malaret, la Surface d’un drame, Édouard Lahiron, De Paris à Mennecy, Lucrezia, Un cas de conscience, Une revanche au lansquenet, Erreur et expiation. Elle avait écrit ces nouvelles à ses heures, avec le minutieux amour d’un artiste qui caresse son œuvre. Les sujets, annonçait-elle, en étaient simples ; l’auteur les avait pris dans la nature, sans chercher plus loin, sans vouloir ni grandir les types que le hasard lui présentait, ni forcer le cri de la passion. Poursuivre le mot juste, s’enquérir de l’expression de la vie elle-même et la rencontrer quelquefois, c’était là toute son ambition. Après avoir si modestement exposé l’objet et l’inspiration de ses récits, Claude Vignon craignant encore d’en avoir exagéré l’importance :

« Ma préface, continue-t-elle, devient bien ambitieuse pour de pauvres contes qui ne prétendent point du tout à réformer la littérature. Aussi je m’arrête. Puissent ces récits ne m’être imputés à crime ni dans ce monde ni dans

  1. 5e édition, 1877. Frontispice de Carpeaux, préface de George Sand.
  2. Sainte-Beuve était le plus sceptique. Il appelait cette amitié « l’antichambre de l’amour ».
  3. Hetzel.