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morale. Le Roman d’une honnête femme mérite spécialement d’être loué comme une œuvre d’analyse délicate et minutieuse, à laquelle on ne souhaiterait que plus de vraisemblance dans les détails.

Le caractère original des conceptions romanesques de Victor Cherbuliez est que les plus aventurées parmi les régions du rêve sont encore réfléchies. C’est un continuel enthousiasme sans entraînement. Mais partout, dans les essais d’esthétique comme dans les œuvres de sentiment, prédomine ce don que les réalistes lui contestent, et qu’ils ne possèdent pas, l’imagination.


M. Louis Enault, dont l’esprit calme n’affronte pas les larges horizons de M. Cherbuliez, est le romancier par excellence des jeunes personnes. Ses pastels Olga, la Vierge du Liban, Christine, Alba, Nadège, ont des traits angéliques. Prise en elle-même, chacune de ses conceptions est aimable et touchante. L’ensemble est monotone. Les héroïnes sont trop constamment parfaites. Ce bleu permanent, cette continuelle langueur de sentiments, ces phrases toujours molles et doucereuses, affadissent l’âme. L’auteur d’Olga[1] fait abus des suaves inspirations.


À la suite de ce romancier, dont le talent a quelque chose de féminin, nous apprécierons, pour fermer le chapitre, tout un groupe de romancières : Mme Ancelot, la comtesse d’Agoult, la comtesse Dash, Mmes  d’Arbouville, Gustave Fould, Marie Sebran, Caro, Henry Gréville, Thérèse Bentzon, Mme Rouvier, connue sous le nom de Claude Vignon.

Virginie Ancelot, jolie femme et femme d’esprit, goûta sous la Restauration de très brillants succès de salon. Eugène Delacroix, Stendhal, Mérimée, Patin, Jouffroy, Mmes  de Bawr et Sophie Gay, visitaient assidûment cette aimable causeuse, à la voix un peu traînante, qu’on appelait « l’onctueuse Mme Ancelot ». Après 1830, elle se mit à collaborer aux ouvrages dramatiques de son mari, devenu directeur du Vaudeville. Puis, abordant à son tour et pour son compte la littérature d’imagination, mais sans rechercher beaucoup la vogue ni les satisfactions d’une bruyante publicité, elle mit au jour divers romans. Parfum mondain et vieilli, morale sans religion, sans grand fondement par conséquent, voilà ce que respirent ses récits en général. Gabrielle cependant n’est pas sans valeur ; si la fable en est assez médiocre, l’analyse en est fine, la composition réfléchie, et il y a là une tenue générale qui sent l’artiste sincère et la femme décente. Dans les Foyers éteints se rencontrent de jolies pages ; on y remarque, parmi les plus délicates choses, un souvenir de juste reconnaissance pour les religieuses qui l’avaient élevée. Le style habituel de Mme rappelle, par son élégante souplesse et son abandon gracieux, la manière des Tencin et des Graffigny.

  1. 1864, 1 vol. Hachette. Ce livre a des pages délicieuses.