nardes, les Jeunes-France. Il avait alors vingt ans à peine ; sa biographie tout entière était simple à raconter.
« Je vous ai promis, dit-il à ses lecteurs, de vous conter mon histoire, ce sera bientôt fait. J’ai été nourri par ma mère et sevré à quinze mois ; puis j’ai eu un accessit de je ne sais quoi en rhétorique : voilà les événements les plus marquants de ma vie. Je n’ai pas fait un seul voyage ; j ï n’ai vu la mer que dans les marines de Vernet ; je ne connais d’autres montagnes que Montmartre. Je n’ai jamais vu se lever le soleil ; je ne suis pas eu état de distinguer le blé de l’avoine. Quoique né sur les frontières de l’Espagne, je suis un Parisien complet, badaud, flâneur, s’étonnant de tout, et ne se croyant plus en Europe dès qu’il a passé la barrière. Les arbres des Tuileries et des boulevards sont mes forêts ; la Seine, mon Océan. Du reste, je vous avouerai franchement que je me soucie assez peu de cela ; je préfère le tableau à l’objet qu’il représente, et je serais bien capable de m’écrier, comme Mme de Staël devant le lac de Genève : Oh ! le ruisseau de la rue Saint-Honoré[1] ! »
Le volume s’ouvre par une longue préface sur l’utilité des préfaces. €et avis au lecteur, suivant le jeune écrivain, est d’une importance capitale. C’est le post-scriptum d’une lettre de femme, sa pensée la plus chère ; on peut ne pas lire le reste. Tout est là, les mots et les idées. Mais, en lui-même, il espère bien qu’on ne s’arrêtera pas à ce préambule gouailleur, qu’on voudra parcourir les feuillets intermédiaires entre la préface et la table, et que les esprits curieux seront tentés d’approfondir les beaux drames d’alcôve, les belles histoires adultérines, annoncés malignement à la fin de son avant-propos. Dans tout le volume des Jeunes-France[2], de la première jusqu’à la dernière ligne, éclate une gaieté hardie, tapageuse, libertine et bavarde, cette gaieté de collège et d’atelier, toujours prête à casser les vitres, toujours à la recherche de plaisanteries exorbitantes, mais vraiment jeune et sincère.
On retrouve le même esprit excentrique, avec plus d’observation et de maturité, dans les Romans et contes[3], dont la Jettatura et l’Avatar sont les principaux récits.
La Jetttatura roule sur la superstition italienne du mauvais œil, de la jettatura, tant de fois mise en œuvre par les romanciers et par les conteurs. Théophile Gautier a trouvé là le sujet d’un épisode dramatique, où toutes les ressources de l’art sont employées pour exciter dans l’âme une émotion poignante. Quelques pages ont du naturel et du pathétique, le dénouement gratuitement pénible ne satisfait pas; le récit en général choque par l’invraisemblance des détails et par l’impossibilité des situations. Les parties les plus brillantes de la Jettatura