Avant le souper, Rozette était devenue un peu triste ; sans en pouvoir rendre raison, elle sentait des sujets de chagrin. On a dans son cœur un pressentiment de son infortune. Je ne suis point superstitieux, cependant je crois qu’il y a quelque chose autour de nous qui nous avertit de l’avenir. Ceux qui ont les yeux perçants, ne découvrent-ils pas le nuage qui précède le tonnerre ? Je fis mon possible pour distraire Rozette et j’y réussis. Insensiblement ses yeux se ranimèrent, la joie rentra dans son imagination et le plaisir dans son cœur. Nous préludâmes par ces amusements folâtres, qui n’effleurent que la superficie de la volupté, qui vous font sentir mille mouvements délicieux, et qui à chacun d’eux vous avertissent que ce n’est pas le lieu de se fixer. Ce monde n’est qu’un pèlerinage, il faut faire durer ses provisions jusqu’au bout de la carrière.
Nous nous étions donné parole de nous conserver pour la nuit, mais, sans y penser, nous empruntâmes sur l’avenir. Ce fut alors qu’elle ne me refusa rien. Elle me conduisit de plaisirs en plaisirs, et sema de fleurs les avenues du palais, où, pour cette fois, je fus reçu avec tous les honneurs.
Ah ! cher marquis, dans quel abime de volupté mon âme ne fut-elle pas plongée ! Je ne sentais rien pour trop sentir ; je mourais, je renaissais pour mourir encore et Rozette, pleine de tendresse, approchait sa belle bouche pour recueillir mes derniers soupirs. Plus j’avais attendu, plus je goutais la récompense de mon attente. L’amour s’applaudissait de notre union et se faisait honneur de ce qu’alors nous n’avions qu’une âme.
Le repas que nous primes remit un peu les forces que nous avions perdues. Nous nous ménageâmes sur le vin de Champagne, et pour ne rien dérober à la sensualité, nous