part comme un coup de pistolet et s’évapore en fumée. Soyez plus modéré, mon cher cœur, dans peu vous aurez besoin de ces transports. Sa voix me persuadait ; je restais tranquille, elle me donnait un baiser pour récompenser mon obéissance, et ce baiser m’en faisait manquer à l’heure même. La situation où nous étions était singulière. Vous vous souvenez, Marquis, du temps où nous travaillions en Salle d’Armes chez Dumouchel[1]. Supposez que Rozette est le maitre et moi l’élève.
Toujours les armes en état, je me présentais de bonne grâce : j’avançais, elle badinait contre mes appels ; quelquefois elle se laissait effleurer ou le sein, ou le bras, ou le côté ; tierce, quarte, seconde, elle était à tout, et riait en prévenant toutes les feintes dans mes yeux. Tantôt elle rompait la mesure et allait rapidement à la parade, plus d’une fois, elle courut au désarmement. Jamais je ne pus la toucher à l’endroit où j’avais fixé mon triomphe. Je sortis fort fatigué de cet assaut où j’avais à la fin perdu beaucoup sans qu’elle en profitât. Cela s’appelle un combat en blanc, il n’y a que des enfants ou des poltrons qui puissent s’en amuser.
Nous nous mîmes à table. Je me piquai contre elle et fus vingt fois sur le point de me retirer. J’attribuais à un mépris de sa part, son peu de complaisance. Je la haïssais ; je la détestais ; elle me regardait, et j’en redevenais passionnément amoureux.
Je ne restai pas longtemps à table, j’avais mon dessein ; le voyageur curieux d’arriver ne s’amuse pas à considérer les prairies qui se trouvent sur son passage.
Rozette savait la carte de mon voyage, elle m’avait vu mettre
- ↑ Fameux maitre d’armes, rue de la Comédie.