Page:Godard d’Aucour - Thémidore, 1908.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée

c’est que nous tombâmes dans une espèce de précipice où elle aidait à m’ensevelir, et dans lequel je serais encore, si, au contraire de ce qui arrive ordinairement, il ne fallait pas être extrêmement fort pour y demeurer longtemps. Nous sortîmes de notre léthargie, et, en rougissant de ce que nous sentions, nous désirions d’en sentir encore davantage. C’est bien là le temps d’avoir de la pudeur, vous me la passez, cher marquis, il n’est pas permis à un homme de robe de penser aussi généreusement qu’un colonel de hussards. Nous rimes un instant après d’avoir été si fous ; mais nous en fûmes si peu fâchés, que par un baiser mutuel nous convînmes de recommencer au premier moment à perdre la raison.

Argentine rentra en bon ordre ; elle était en habit de combat et se mit à éclater de rire en regardant la robe de Laurette qui avait l’air d’avoir été de quelque partie. La physionomie n’est pas toujours trompeuse. Elle plaisanta sur ses yeux, sur les miens, et, se tournant vers le canapé et l’examinant avec soin, elle assura que, si je faisais une carte des lieux où j’aurais combattu, celui-ci serait marqué en rouge. Pourquoi, disait-elle d’un ton ironique, n’a-t-on point de faiblesses sans que les autres s’en aperçoivent ? La faute se peint dans les yeux ; voyez les miens, ne sont-ils pas le miroir de l’innocence ? Apparemment que, pour cette fois, Argentine nous avait fait faire un jugement téméraire, ou plutôt qu’elle n’était troublée que lorsqu’elle avait combattu dans les règles. Défaites-vous de ces ajustements superflus, dit-elle à Laurette, restez en corset, comme je m’y suis mise ; puisque nous passons ici la journée, il ne faut point de cérémonies : vos grâces en seront plus aimables en négligé. Montez et arrangez proprement tout sur le lit, mais de grâce ne réveillez