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je pris quelque nourriture. Le besoin a une voix qui se fait puissamment entendre et qui est aisément écoutée.

Cependant, j’avais écrit une grande lettre à Rozette, dans laquelle je lui marquais en termes passionnés mon amour, et le désespoir où m’avait plongé son infortune. Je l’encourageais à avoir bonne espérance, et l’assurais que je ne négligerais rien pour la tirer de l’injuste captivité où elle était cruellement retenue. Je finissais en la conjurant de m’aimer toujours, de ne point m’imputer ses chagrins, et la priant de recevoir dix louis que je lui envoyais pour subvenir à ses nécessités. Cette lettre était simple, mais touchante ; on a le cœur tendre dans la douleur, et je me souviens que l’amour me dictait des expressions qu’il n’eût pas désavouées lui-même.

La lettre était sur mon secrétaire, je ne découvrais aucun moyen pour la faire tenir à sa destination. Je n’osais me confier à personne depuis la perfidie de Lafleur. D’ailleurs, dans ces premiers moments, la moindre démarche est suspecte et presque toujours hasardée. Je résolus de faire avertir le président. Il est, comme vous savez, cher marquis, homme de plaisir, mais de bon conseil : capable de vous mettre dans des affaires galantes, mais en état de vous tirer des plus embarrassantes. Je lui écrivis de venir me trouver pour une affaire d’importance. Je chargeai un des cochers de la maison de ce message dont il fut content et moi aussi.

M. le président n’était point chez lui, Laverdure, son laquais affidé, instruit que la lettre venait de ma part, soupçonna quelque chose, et, en garçon intelligent, il se transporta chez moi. Je fus ravi de son arrivée. Voilà de ces domestiques sans prix ; heureux qui en rencontre de semblables !