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Pour y parvenir, elle fabriqua, avec l’argile des collines environnantes, une immense quantité de morceaux de terre pétris à la main. On retrouve encore aujourd’hui, sur ceux de ces fragments que l’on exhume de la vase, les traces reconnaissables de doigts d’hommes, de femmes et d’enfants. Quelquefois, pour abréger sa besogne, l’ouvrier sauvage s’est avisé de prendre un bloc de bois et de le recouvrir d’une faible couche de glaise. Tous ces fragments ainsi préparés furent ensuite soumis à l’action du feu et transformés en briques on ne peut plus irrégulières, dont les plus grandes, qui sont aussi les plus rares, ont environ 25 centimètres de circonférence sur une longueur à peu près égale. La plupart n’ont que des dimensions beaucoup plus faibles.

Les matériaux ainsi préparés furent transportés dans le marais, et jetés pêle-mêle sur la boue, sans mortier ni ciment. Le travail s’étendit de telle manière que le radier artificiel, recouvert aujourd’hui d’une couche de vase solidifiée de sept à onze pieds de profondeur, a, dans ses parties les plus minces, trois pieds de hauteur, et dans les plus épaisses sept environ. Ainsi fut créé sur l’abîme une espèce de croûte que le temps a rendue très compacte, et qui est évidemment très solide, puisqu’on la voit porter plusieurs villes, habitées par une population totale de vingt-neuf à trente mille âmes.

L’étendue de cet ouvrage bizarre, connu dans le pays sous le nom de briquetage de Marsal, paraît être, autant que les sondages exécutés au dernier siècle par l’ingénieur La Sauvagère ont pu le faire connaître, de cent quatre-vingt-douze mille toises carrées sous la ville de Marsal, et de quatre-vingt-deux mille quatre cent quatre-vingt-dix-neuf toises sous Moyenvic.

En comparant entre elles les différentes mesures, M. de Saulcy a calculé approximativement, et en ayant soin de modérer, même à l’extrême, toutes ses appréciations, le nombre de bras et la durée de temps indispensables pour achever ce singulier monument de barbarie et de patience, et il a trouvé que quatre mille ouvriers actuels, usant des mêmes procédés, n’ayant d’ailleurs à s’occuper ni de l’extraction de l’argile, ni du charriage