Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quoi qu’il en soit, l’unité du monde civilisé était fondée. À ce monde il fallait une loi, et cette loi où l’appuyer ? De quelle source la faire jaillir, quand les gouvernements ne présidaient plus qu’à un immense amas de détritus, où toutes les nationalités anciennes étaient venues éteindre leurs forces viriles ? Comment tirer des instincts mélaniens, qui désormais avaient pénétré jusqu’aux derniers replis de cet ordre social, la reconnaissance d’un principe intelligent et ferme, et en faire une règle stable ? Solution impossible ; et pour la première fois dans le monde on vit ce phénomène, qui depuis s’est reproduit deux fois encore, de grandes masses humaines conduites sans religion politique, sans principes sociaux définis, et sans autre but que de les aider à vivre. Les rois grecs adoptèrent, faute de pouvoir mieux, la tolérance universelle en tout et pour tout, et bornèrent leur action à exiger l’adoration des actes émanés de leur puissance. Qui voulait être république le restait ; telle ville tenait aux formes aristocratiques, à elle permis ; telle autre, un district, une province, choisissait la monarchie pure, on n’y contredisait pas. Dans cette organisation, les souverains ne niaient rien et n’affirmaient pas davantage. Pourvu que le trésor royal touchât ses revenus légaux et extralégaux, et que les citoyens ou les sujets ne fissent pas trop de bruit dans le coin où ils étaient censés se gouverner à leur guise, ni les Ptolémées, ni les Séleucides n’étaient gens à y trouver à redire.

La longue période qu’embrassa cette situation ne fut pas absolument vide d’individualités distinguées ; mais elle n’offrit pas à celles qui surgirent un public suffisamment sympathique, et dès lors tout resta dans le médiocre. On s’est souvent demandé pourquoi certains temps ne produisent pas telle catégorie de supériorité : on a répondu, tantôt que c’était par défaut de liberté, tantôt par pénurie d’encouragement. Les uns ont fait honneur à l’anarchie athénienne du mérite de Sophocle

    Nabis employèrent le moyen ordinaire pour relever la république : il y eut une vaste promotion de citoyens. Mais peu après, malgré cette ressource, Sparte, encore vaincue et découragée, se fondit dans la ligne achéenne. Cette histoire est celle de tous les États grecs, d’Argos, de Thèbes, comme d’Athènes. (Zumpt, p. 7 et passim)