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suivre celui qui ne se trompe pas. C’est la marque évidente de la nécessité d’un échange constant entre la volonté collective et la volonté individuelle. Pour qu’il y ait un résultat positif, il faut que ces deux volontés s’unissent ; séparées, elles sont infécondes. De là vient que la monarchie est la seule forme de gouvernement rationnelle.

Mais on s’aperçoit sans peine que le prince et la nation réunis ne font jamais que mettre en valeur des aptitudes ou des capacités, ne font jamais que conjurer des influences néfastes provenant d’un domaine extérieur à l’un comme à l’autre. Dans bien des cas où un chef voit la route que son monde voudrait prendre, ce n’est pas sa faute si ce monde manque des forces nécessaires pour accomplir la tâche indispensable ; et de même encore un peuple, une multitude ne peut se donner les compréhensions qu’elle n’a pas et qu’elle devrait avoir, pour éviter des catastrophes vers lesquelles elle court tout en les concevant, tout en les redoutant, tout en en gémissant.

Cependant voilà que le plus terrible malheur est tombé sur une nation. L’imprévoyance, ou la folie, ou l’impuissance de ses guides, conjurés avec ses propres torts, font éclater sa ruine. Elle tombe sous le sabre d’un plus fort, elle est envahie, annexée à d’autres États. Ses frontières s’effacent, et ses étendards déchirés vont triomphalement agrandir de leurs lambeaux les étendards du vainqueur. Sa destinée flnit-elle là ?

Suivant les annalistes, l’affirmation n’est pas douteuse. Tout peuple subjugué ne compte plus, et, s’il s’agit d’époques reculées et quelque peu ténébreuses, la plume de l’écrivain n’hésite pas même à le rayer du nombre des vivants, et à le déclarer matériellement disparu.

Mais qu’avec un juste dédain pour une conclusion aussi superficielle, on se mette en quête de la réalité,on trouvera qu’une nation, politiquement abolie, continue à subsister sans autre modification que de porter un nom nouveau ; qu’elle conserve ses allures propres, son esprit, ses facultés, et qu’elle influe, d’une manière conforme à sa nature ancienne, sur les populations auxquelles elle est réunie. Ce n’est donc pas la forme politiquement agrégative qui donne la vie intellectuelle