Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/551

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grossièrement son incapacité réelle. Elle fut cependant jusqu’ici l’unique mobile de cet attrait irraisonné qui a porté les hommes à recueillir les reliques du passé.

On vient d’entrevoir que la limite immédiate devant laquelle elle s’arrête est fournie par la résistance du centre politique au sein duquel elle se meut. Un centre politique, réunion collective de volontés humaines, aurait donc par lui-même une volonté ; incontestablement il en est ainsi. Un centre politique, autrement dit un peuple, a ses passions et son intelligence. Malgré la multiplicité des têtes qui le forment, il possède une individualité mixte, résultant de la mise en commun de toutes les notions, de toutes les tendances, de toutes les idées, que la masse lui suggère. Tantôt il en est la moyenne, tantôt l’exagération ; tantôt il parle comme la minorité, tantôt la majorité l’entraîne, ou bien encore c’est une inspiration morbide qui n’était attendue et n’est avouée de personne. Bref, un peuple, pris collectivement, est, dans de nombreuses fonctions, un être aussi réel que si on le voyait condensé en un seul corps. L’autorité dont il dispose est plus intense, plus soutenue, et en même temps moins sûre et moins durable, parce qu’elle est plutôt instinctive que volontaire, qu’elle est plutôt négative qu’affirmative, et que, dans tous les cas, elle est moins directe que celle des individualités isolées. Un peuple est exposé à changer de visées dix fois et plus dans l’intervalle d’un siècle, et c’est là ce qui explique les fausses décadences et les fausses régénérations. Dans un intervalle de peu d’années, il se montre propre à conquérir ses voisins, puis à être conquis par eux  ; aimant ses lois et leur étant soumis, puis ne respirant que révolte pour aspirer quelques heures plus tard à la servitude. Mais, dans le malaise, l’ennui ou le malheur, on l’entend sans cesse accuser ses gouvernants de ce qu’il souffre ; preuve évidente qu’il a le sentiment d’une faiblesse organique qui réside en lui, et qui provient de l’imperfection de sa personnalité.

Un peuple a toujours besoin d’un homme qui comprenne sa volonté, la résume, l’explique, et le mène où il doit aller. Si l’homme se trompe, le peuple résiste, et se lève ensuite pour