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J’assiste avec intérêt, bien qu’avec une sympathie médiocre, je l’avoue, au grand mouvement que les instincts utilitaires se donnent en Amérique. Je ne méconnais pas la puissance qu’ils déploient ; mais, tout bien compté, qu’en résulte-t-il d’inconnu ? et même que présentent-ils de sérieusement original ? Se passe-t-il là quelque chose qui au fond soit étranger aux conceptions européennes ? Existe-t-il là un motif déterminant auquel se puisse rattacher l’espérance de futurs triomphes pour une jeune humanité qui serait encore à naître ? Qu’on pèse mûrement le pour et le contre, et on ne doutera pas de l’inanité de semblables espérances. Les États-Unis d’Amérique ne sont pas le premier État commercial qu’il y ait eu dans le monde. Ceux qui l’ont précédé n’ont rien produit qui ressemblât à une régénération de la race dont ils étaient issus.

Carthage a jeté un éclat qui sera difficilement égalé par New-York. Carthage était riche, grande en toutes manières. La côte septentrionale de l’Afrique dans son entier développement, et une vaste partie de la région intérieure, étaient sous sa main. Elle avait été plus favorisée à sa naissance que la colonie des puritains d’Angleterre, car ceux qui l’avaient fondée étaient les rejetons des familles les plus pures du Chanaan. Tout ce que Tyr et Sidon perdirent, Carthage en hérita. Et cependant Carthage n’a pas ajouté la valeur d’un grain à la civilisation sémitique, ni empêché sa décadence d’un jour.

Constantinople fut à son tour une création qui semblait bien devoir effacer en splendeur le présent, le passé, et transformer l’avenir. Jouissant de la plus belle situation qui soit sur la terre, entourée des provinces les plus fertiles et les plus populeuses de l’empire de Constantin, elle paraissait affranchie, comme on le veut imaginer pour les États-Unis, de tous les empêchements que l’âge mûr d’un pays se plaint d’avoir reçus de son enfance. Peuplée de lettrés, gorgée de chefs-d’œuvre en tous genres, familiarisée avec tous les procédés de l’industrie, possédant des manufactures immenses et absorbant un commerce sans limites avec l’Europe, avec l’Asie, avec l’Afrique, quelle rivale eut jamais Constantinople ? Pour quel coin du monde le ciel et les hommes pourront-ils jamais faire ce