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jusqu’à comprendre que la source du mal était dans l’absolutisme hébétant du principe gouvernemental. Il en cherchait vainement le remède dans les moyens secondaires. À la plus belle époque, entre la bataille de Marathon et la guerre du Péloponèse, tous les hommes éminents inclinaient vers l’opinion vague que nous appellerions aujourd’hui conservatrice. Ils n’étaient pas aristocrates, dans le sens vrai du mot (1)[1]. Ni Eschyle ni Aristophane ne souhaitaient le rétablissement de l’archontat perpétuel ou décennal ; mais ils croyaient que, dans les mains des riches, le gouvernement avait quelque chance de fonctionner avec plus de régularité que lorsqu’il était abandonné aux matelots du Pirée et aux fainéants déguenillés du Pnyx.

Ils n’avaient certainement pas tort. Plus de lumières étaient à trouver dans la noble maison de Xénophon que chez l’intrigant corroyeur de la comédie des Chevaliers. Mais, au fond, le gouvernement de la bourgeoisie et des riches se fût-il consolidé, le vice radical du système n’en subsistait pas moins. Je veux croire que les affaires auraient été conduites avec moins de passion, les finances gérées avec plus d’économie ; la nation n’en serait pas devenue d’un seul point meilleure, sa politique extérieure plus équitable et plus forte, et l’ensemble de sa destinée différent.

Personne ne s’aperçut du véritable mal et ne pouvait s’en apercevoir, puisque ce mal tenait à la constitution intime des races helléniques. Tous les inventeurs de systèmes nouveaux, à commencer par Platon, passèrent à côté, sans le soupçonner ; que dis-je ? ils le prirent, au contraire, pour élément principal de leurs plans de réforme. Socrate fournit peut-être l’unique exception. En cherchant à rendre l’idée du vice et de la vertu indépendante de l’intérêt politique, et à élever l’homme intérieur à côté et en dehors du citoyen, ce rhéteur avait au moins entrevu la difficulté. Aussi je comprends que la patrie ne lui ait pas fait grâce, et je ne m’étonne nullement de voir



(1) Il y a des observations intéressantes sur ce point dans l’introduction que M. Droysen a mise en tête de sa traduction d’Eschyle. (Aschylose Werke, in-12, zw. Aufl. ; Berlin, 1841.)

  1. (1) Il y a des observations intéressantes sur ce point dans l’introduction que M. Droysen a mise en tête de sa traduction d’Eschyle. (Aschylose Werke, in-12, zw. Aufl. ; Berlin, 1841.)