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violences. Ce qui rend la férocité de l’Américain particulièrement remarquable à côté de celle du nègre le plus emporté, et du Finnois le plus bassement cruel, c’est l’impassibilité qui en fait la base et la durée du paroxysme, aussi long que sa vie. On dirait qu’il n’a pas de passion, tant il est capable de se modérer, de se contraindre, de cacher à tous les yeux la flamme haineuse qui le ronge ; mais, plus certainement encore, il n’a pas de pitié, comme le démontrent les relations qu’il entretient avec les étrangers, avec sa tribu, avec sa famille, avec ses femmes, avec ses enfants même (1)[1].

En un mot, l’indigène américain, antipathique à ses semblables, ne s’en rapproche que dans la mesure de son utilité personnelle. Que juge-t-il rentrer dans cette sphère ? Des effets matériels seulement. Il n’a pas le sens du beau, ni des arts ; il est très borné dans la plupart de ses désirs, les limitant en général à l’essentiel des nécessités physiques. Manger est sa grande affaire, se vêtir après, et c’est peu de chose, même dans les régions froides. Ni les notions sociales de la pudeur, de la parure ou de la richesse, ne lui sont fortement accessibles.

Qu’on se garde de croire que ce soit par manque d’intelligence ; il en a, et l’applique bien à la satisfaction de sa forme d’égoïsme. Son grand principe politique, c’est l’indépendance, non pas celle de sa nation ou de sa tribu, mais la sienne propre, celle de l’individu même. Obéir le moins possible pour avoir peu à céder de sa fainéantise et de ses goûts, c’est la grande préoccupation du Guarani comme du Chinook. Tout ce qu’on prétend démêler de noble dans le caractère indien vient de là. Cependant plusieurs causes locales ont, dans quelques tribus, rendu la présence d’un chef nécessaire, indispensable. On a donc accepté le chef ; mais on ne lui accorde que la mesure de soumission la plus petite possible, et c’est le subordonné qui la fixe. On lui dispute jusqu’aux bribes d’une autorité si mince. On ne la confère que pour un temps, on la reprend quand on veut. Les sauvages d’Amérique sont des républicains extrêmes.

  1. (1) D’Orbigny, ouvr. cité, t. II, p. 232 et pass.