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une terrible contraction de l’esprit de chaque localité, la réunion de la race était rendue impossible.

Enfin, à la puissance extérieure annulée ou paralysée venait aussi se joindre l’incapacité d’organiser la tranquillité intérieure. C’était un triste bilan, et, pour en faire l’objet de l’admiration des siècles, il a fallu l’éloquence admirable des historiens nationaux. Sous peine de passer pour des monstres, ces habiles artistes n’étaient pas libres de discuter, bien moins encore de blâmer le révoltant despotisme de la patrie. Je ne crois même pas que la magnificence de leurs périodes aurait suffi à elle seule à égarer le bon sens des époques modernes dans une puérile extase, si l’esprit tortu des pédants et la mauvaise foi des rêveurs théoriciens ne s’étaient ligués pour obtenir ce résultat et recommander l’anarchie athénienne à l’imitation de nos sociétés.

L’intérêt que prirent à cette affaire les entrepreneurs de renommées était bien naturel. Les uns trouvaient la chose belle, parce qu’elle était expliquée en grec ; les autres, parce qu’elle allait à l’encontre de toutes les idées nouvelles sur le juste et l’injuste. Toutes les idées, ce n’est pas trop dire : car, au tableau que je viens de tracer, il me reste encore à ajouter quels effroyables effets l’absolutisme patriotique produisait sur les mœurs.

En substituant l’orgueil factice du citoyen au légitime sentiment de dignité de la créature pensante, le système grec pervertissait complètement la vérité morale, et, comme, suivant lui, tout ce qui était fait en vue de la patrie était bien, également rien n’était bien qui n’avait pas obtenu l’approbation, la sanction de ce maître. Toutes les questions de conscience demeuraient irrésolues dans l’esprit aussi longtemps qu’on ne savait ce que la patrie ordonnait qu’on en pensât. On n’était pas libre de suivre là-dessus une donnée plus sérieuse, plus rigoureuse, moins variable, qu’à défaut d’une loi religieuse épurée, l’homme arian eût trouvée jadis dans sa raison.

Ainsi, par exemple, le respect de la propriété était-il, oui ou non, d’obligation stricte ? En général, oui ; mais, non, si l’on volait bien, si, pour déguiser le vol, on savait à propos et