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Les tendances politiques ne suffiraient pas à caractériser cette situation d’une manière sûre  ; elles pourraient, à la rigueur, être considérées comme transitoires et provenant de causes secondes. Mais ici, outre qu’il n’est guère possible de n’attribuer qu’une importance de passage à la persistante direction des idées pendant cinq à six siècles, nous voyons encore des marques de la réunion future des nations occidentales, au sein d’une romanité nouvelle, dans la ressemblance croissante de toutes leurs productions littéraires et scientifiques, et surtout dans le mode singulier de développement de leurs idiomes.

Les uns et les autres ils se dépouillent, autant qu’il est possible, de leurs éléments originaux et se rapprochent. L’espagnol ancien est incompréhensible pour un Français ou pour un Italien  ; l’espagnol moderne ne leur offre presque plus de difficultés lexicologiques. La langue de Pétrarque et du Dante abandonne aux dialectes les mots, les formes non romaines, et, à première vue, n’a plus pour nous d’obscurités. Nous-mêmes, jadis riches de tant de vocables teutoniques, nous les avons abandonnés, et, si nous acceptons sans trop de répugnance des expressions anglaises, c’est que, pour la majeure partie, elles sont venues de nous ou appartiennent à une souche celtique. Pour nos voisins d’outre-Manche la proscription des éléments anglo-saxons marche vite ; le dictionnaire en perd tous les jours. Mais c’est en Allemagne que cette rénovation s’accomplit de la manière et par les voies les plus étranges.

Déjà, suivant un mouvement analogue à ce qu’on observe en Italie, les dialectes les plus chargés d’éléments germaniques,

maine, t. I, Introd., p. 347 : « Nous-mêmes, Européens du XIXe siècle, quels idiomes parlons-nous pour la plupart ? A quel cachet est marqué notre génie littéraire ? Qui nous a fourni nos théories de l’art ? Quel système de droit est écrit dans nos codes, ou se retrouve au fond de nos coutumes ? Enfin, quelle est notre religion à tous ? La réponse à ces questions nous prouve la vitalité de ces institutions romaines dont nous portons encore l’empreinte après quinze siècles, empreinte qui, au lieu de s’effacer par l’action moderne, ne fait, en quelque sorte, que se reproduire plus nette et plus éclatante, à mesure que nous nous dégageons de la barbarie féodale. »