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Ainsi cette force extrême concentrée dans l’État ne contrariait pas la tendance de l’élément sémitique grec à subir l’influence de la masse asiatique. Si l’annexion tardait, c’est que les restes du sang arian maintenaient encore des motifs suffisants de séparation nationale. Mais ce préservatif allait s’épuisant dans le sud. On pouvait prévoir le jour où l’Hellade et la Perse allaient se réunir.

Avec leurs violents préjugés d’isonomie, les villes grecques, cramponnées à leurs petits despotismes patriotiques, marchaient à l’encontre des tendances arianes : il n’était pas question pour elles de simplifier les rapports politiques en agglomérant plusieurs États en un seul. Ce qui se faisait en Macédoine trouvait un contraste parfait dans le travail du reste de la Grèce. Aucune cité ne songeait à dominer un grand territoire. Toutes voulaient s’agrandir elles-mêmes matériellement, et n’avaient à proposer à leurs voisins que l’anéantissement. Ainsi, lorsque les expéditions des Lacédémoniens (1)[1] réussissaient, la fin était pour les vaincus d’aller grossir les troupeaux d’esclaves des triomphateurs. On conçoit que chacun se défendît jusqu’à la dernière extrémité. Pas de fusion possible. Ces Grecs élégants du temps de Périclès entendaient la guerre en sauvages. Le massacre couronnait toutes les victoires. C’était chose reçue que le dévouement si vanté à la patrie ne pouvait amener chaque ville qu’à se traîner dans un cercle étroit de succès inféconds et de défaites désastreuses (2)[2].



(1) C’est ce qui rendait les naturalisations d’étrangers fort difficiles dans les États doriens. « A rigid exclusiveness characterised several greek communities, the most opposites in almost every other political sentiment. The people of Megara boasted that they had never conceded the right of citizenship to any foreigner but Hercules. But Sybaris and Athens are said to have acted otherwise ; and the interest of Corinth, not to speak of less important mercantile states, tended in the like direction. » (Mac Cullagh, t. I, p. 256.) — Les mélanges n’en avaient pas moins lieu, bien que plus lentement, chez les nations de race dorique. Les constitutions et l’isonomie de ces peuples ne durèrent qu’un peu plus que celles des autres.

(2) M. Bœckh, grand partisan de la liberté athénienne, fait le plus triste tableau des conséquences de la ligue hellénique formée sous la présidence de la ville de Minerve, et que la politique du Pnyx voulait

  1. (1) C’est ce qui rendait les naturalisations d’étrangers fort difficiles dans les États doriens. « A rigid exclusiveness characterised several greek communities, the most opposites in almost every other political sentiment. The people of Megara boasted that they had never conceded the right of citizenship to any foreigner but Hercules. But Sybaris and Athens are said to have acted otherwise ; and the interest of Corinth, not to speak of less important mercantile states, tended in the like direction. » (Mac Cullagh, t. I, p. 256.) — Les mélanges n’en avaient pas moins lieu, bien que plus lentement, chez les nations de race dorique. Les constitutions et l’isonomie de ces peuples ne durèrent qu’un peu plus que celles des autres.
  2. (2) M. Bœckh, grand partisan de la liberté athénienne, fait le plus triste tableau des conséquences de la ligue hellénique formée sous la présidence de la ville de Minerve, et que la politique du Pnyx voulait faire tourner à l’avantage de l’État, tel qu’on le comprenait alors. Le trésor commun, d’abord déposé dans le temple de Délos, fut apporté à Athènes. On employa les contributions annuelles des villes alliées à payer le peuple affamé d’assemblées ; on en construisit des monuments, on en fit des statues, on en paya des tableaux. Tout naturellement on ne laissa passer guère de temps sans déclarer les contributions insuffisantes. Les cités confédérées furent accablées d’impôts, et, pour bien dire, pillées. Afin de les rendre souples, le peuple d’Athènes s’arrogea sur elles le droit de vie et de mort. Il y eut des révoltes ; on massacra ce qu’on put des populations rebelles, et le reste fut jeté en esclavage. Plusieurs nations, dégoûtées de ce genre de vie, s’embarquèrent sur leurs vaisseaux et s’enfuirent ailleurs. Les Athéniens, charmés, peuplèrent à leur gré les terrains vacants. Voilà ce qu’on appelait, dans l’antiquité grecque, le protectorat et l’alliance ; car, il ne faut pas s’y tromper, c’est l’état d’amitié que je viens de dépeindre d’après les doctes pages de M. Bœckh. De mille cités alliées que compte Aristophane dans les Guêpes, il n’en restait plus que trois qui fussent libres à la fin de la guerre du Péloponèse : Chios, Mytilène de Lesbos et Méthymne. Le reste était non pas assimilé à ses maîtres, non pas même sujet, mais asservi dans toute la rigueur du mot. (Die Staatshaushaltung der Athener, t. I, p. 443.)