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parentes. Le problème de la suprématie était donc résolu au profit de ce peuple.

Puisque les Franks dominaient tout, puisque en même temps le mariage de la barbarie et de la romanité était assez avancé déjà pour que les contrastes d’autrefois fussent devenus moins choquants, l’empire se retrouvait en situation de se donner un chef. Ce chef pouvait être un Germain, Germain de fait et de formes  ; cet élu ne devait être qu’un Frank  ; parmi les Franks, qu’un Austrasien, que le roi des Austrasiens, et donc que Charlemagne. Ce prince, acceptant tout le passé, se porta pour le successeur des empereurs d’Orient, dont le sceptre venait de tomber en quenouille, ce que la coutume d’Occident ne pouvait admettre suivant lui. Voilà par quel raisonnement il restaura le passé. D’ailleurs, les acclamations du peuple romain et les bénédictions de l’Église ne lui refusèrent pas leur concours (1)[1].

Jusqu’à lui la barbarie avait fidèlement poursuivi son système de conservation à l’égard du monde romain. Tant qu’elle exista dans sa véritable et native essence, elle ne se départit pas de cette idée. Depuis comme avant l’arrivée des premiers grands peuples teutoniques, jusqu’à l’avènement des âges moyens vers le dixième siècle, c’est-à-dire pendant une période

(1) Les politiques du temps ne voulurent pas même avouer que le nouvel empereur restaurait un trône ancien. Ils prétendirent qu’il succédait, non pas à Augustule, mais à l’empereur d’Orient, Constantin V. Pendant tout le temps de l’interrègne, on avait, en effet, admis cette théorie, que le souverain siégeant à Constantinople était devenu le chef nominal de la romanité entière. Son pouvoir se bornait à accorder les investitures, quand on les lui demandait. Lorsque Charlemagne voulut prendre la pourpre, on rompit avec cette fiction, en lui en substituant une autre : ce fut d’imaginer que, par l’avènement d’Irène, l’empire d’Orient étant tombé en quenouille, celui d’Occident ne pouvait suivre le même sort, parce que la loi des Saliens s’y opposait, comme si la loi des Saliens eût eu quelque chose à dire dans un cas d’hérédité romaine, qui échappait même légalement aux règles de la jurisprudence civile. Il est, du reste, à remarquer que c’est ici la première application qui fut faite de la doctrine de l’inaptitude des femmes à succéder à la couronne de France, et, en ce cas, de l’appui à la loi régissant la tenure du domaine salique. On a contesté à tort qu’il y eût corrélation réelle entre ces deux points.


  1. (1) Les politiques du temps ne voulurent pas même avouer que le nouvel empereur restaurait un trône ancien. Ils prétendirent qu’il succédait, non pas à Augustule, mais à l’empereur d’Orient, Constantin V. Pendant tout le temps de l’interrègne, on avait, en effet, admis cette théorie, que le souverain siégeant à Constantinople était devenu le chef nominal de la romanité entière. Son pouvoir se bornait à accorder les investitures, quand on les lui demandait. Lorsque Charlemagne voulut prendre la pourpre, on rompit avec cette fiction, en lui en substituant une autre : ce fut d’imaginer que, par l’avènement d’Irène, l’empire d’Orient étant tombé en quenouille, celui d’Occident ne pouvait suivre le même sort, parce que la loi des Saliens s’y opposait, comme si la loi des Saliens eût eu quelque chose à dire dans un cas d’hérédité romaine, qui échappait même légalement aux règles de la jurisprudence civile. Il est, du reste, à remarquer que c’est ici la première application qui fut faite de la doctrine de l’inaptitude des femmes à succéder à la couronne de France, et, en ce cas, de l’appui à la loi régissant la tenure du domaine salique. On a contesté à tort qu’il y eût corrélation réelle entre ces deux points.