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rien de vital  ; c’est ce que montre bien l’examen des motifs qui avaient prolongé si longtemps l’interrègne.

Après avoir jugé raisonnable, autrefois, que le chef de la société romaine fût issu d’une famille latine, on avait consenti bientôt à le prendre dans une partie quelconque de l’Italie, puis enfin et exclusivement dans les camps, et alors on ne s’était plus enquis de son origine. Cependant il était toujours resté convenu, et sur ce point le bon sens ne pouvait guère faiblir, que l’empereur devait avoir au moins les formes extérieures des populations qu’il régissait, porter un des noms familiers à leurs oreilles, s’habiller comme eux et parler la langue courante, la langue des décrets et des diplômes, tant bien que mal. A l’époque d’Odoacre, les distinctions extérieures entre les vainqueurs et les vaincus étaient encore trop accusées pour que la violation de ces règles ne fît pas scandale aux yeux de ceux-là même qui auraient pu vouloir l’essayer à leur profit.

Pour les chefs germaniques, pour les rois sortis du sang des Amâles ou des Mérowings, se faire instituer patrices et consuls, c’étaient là des ambitions permises et même nécessaires : le gouvernement des peuples était à ce prix. Mais, outre que la prise de possession de la pourpre augustale par un chef barbare, vêtu et vivant suivant les usages du Nord, entouré de sa truste, dans un palais de bois, aurait été passible de ridicule, l’ambitieux mal inspiré qui en eût fait l’essai aurait éprouvé la difficulté la plus grande à se faire reconnaître dans sa dignité suprême par de nombreux adversaires, tous ses rivaux, tous égaux à lui, ou croyant l’être, par l’illustration, tous à peu près aussi forts que lui. La coalition de mille vanités, de mille intérêts blessés aurait eu bientôt fait de le rabattre au rang commun, et peut-être au-dessous.

Pénétrés de cette évidence, les plus puissants monarques germaniques ne voulurent pas en essuyer les périls (1)[1]. Ils

(1) Cependant on ne peut nier que la tentation de le faire n’existât pour eux très vive et qu’ils ne s’y abandonnassent quelquefois en partie. Klodowig, au dire de Grégoire de Tours (II, 38), s’était même fait donner le titre d’Auguste. Théodorik le Grand joua même le rôle de


  1. (1) Cependant on ne peut nier que la tentation de le faire n’existât pour eux très vive et qu’ils ne s’y abandonnassent quelquefois en partie. Klodowig, au dire de Grégoire de Tours (II, 38), s’était même fait donner le titre d’Auguste. Théodorik le Grand joua même le rôle de collègue d’Anastase. Mais ce furent plutôt des prétentions que des réalités, et ces deux circonstances ne sont guère que des curiosités historiques, tant elles furent peu suivies d’effets.