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retrouver leurs voies. Elles y tendent imperturbablement et ne manquent jamais d’y arriver. C’est ainsi qu’il en advint pour le sentiment conservateur des Germains envers la romanité. Il fut en vain combattu et souvent obscurci par les passions qui lui faisaient escorte ; à la fin il accomplit sa tâche. Il se refusa à la destruction de l’empire aussi longtemps que l’empire représenta un corps de peuples, un ensemble de notions sociales différentes de la barbarie. Il fut si ferme dans cette volonté et si inexpugnable, qu’il la maintint même pendant l’espace de quatre siècles où il se vit forcé de supprimer l’empereur dans l’empire.

Cette situation d’un État despotique subsistant sans avoir de tête n’était pas, du reste, aussi étrange qu’elle le peut sembler d’abord. Dans une organisation comme la romaine, où l’hérédité monarchique n’avait jamais existé et où l’élection du chef suprême, indifféremment accomplie par le prédécesseur, par le sénat, par le peuple ou par une des armées, puisait sa validité dans le seul fait de sa maintenue ; en face d’un pareil ordre de choses, ce n’est pas la régularité des successions au trône qui peut faire connaître que le corps politique continue de vivre, encore bien moins le corps social. Le seul critérium admissible, c’est l’opinion des contemporains à cet égard. Et il n’importe pas que cette opinion soit fondée sur des faits spéciaux, comme, par exemple, la continuation d’institutions séculaires, chose de tout temps inconnue dans une société en perpétuelle refonte, ou bien la résidence du pouvoir continuée dans une même capitale, ce qui n’avait pas eu lieu davantage ; il suffit que la conviction existant sur ce sujet résulte de l’enchainement d’idées, même transitoires et disparates, mais qui, s’engendrant les unes des autres, créent, malgré la rapidité de leur succession, une impression de durée pour le milieu assez vague dans lequel elles se développent, meurent et sont incessamment remplacées.

C’était l’état normal dans la romanité, et voilà pourquoi lorsque Odoacre eut déclaré le personnage d’un empereur d’Occident inutile, personne ne pensa, non plus que lui, que par suite de cette mesure l’empire d’Occident cessât d’être.