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Quant au domaine romain, le chef mourant le fractionnait avec bien moins de scrupule encore, puisqu’il ne s’agissait que de valeurs mobilières. Il distribuait donc par portions diverses, à plusieurs héritiers, les revenus des douanes de Marseille, de Bordeaux ou de Nantes.

Les Germains n’avaient pas pour but principal de sauver ce qu’on nomme l’unité romaine. Ce n’était là à leurs yeux qu’une manière de maintenir la civilisation, et c’est pourquoi ils s’y soumettaient. Leurs efforts, pour ce but méritoire, furent des plus extraordinaires, et dépassèrent même ce qu’on avait pu observer dans ce sens chez un grand nombre d’empereurs. Il semblerait que depuis l’établissement en masse au sein de la romanité, la barbarie se repentît d’avoir donné trop peu d’attention aux niaiseries même de l’état social qu’elle admirait. Tous les littérateurs étaient assurés de l’accueil le plus honorable à la cour des rois vandales, goths, franks, burgondes ou longobards. Les évêques, ces dépositaires véritables de l’intelligence poétique de l’époque, n’écrivaient pas que pour leurs moines. La race des conquérants elle-même se mit à manier la plume, et Jornandès, Paul Warnefrid, l’anonyme de Ravenne, bien d’autres dont les noms et les œuvres ont péri, témoignaient assez du goût de leur race pour l’instruction latine. D’un autre côté, les connaissances plus particulièrement nationales ne tombaient pas en oubli. On taillait des runes chez le roi Hilpérik[1], qui, inquiet des imperfections de l’alphabet romain, occupait ses moments perdus à le réformer. Les poèmes du Nord se maintenaient en honneur, et les exploits des aïeux, fidèlement chantés par les générations nouvelles, servaient à prouver que ces dernières n’avaient point abdiqué les qualités énergiques de leur race[2].

  1. La traduction mœso-gothique des évangiles par Ulfila est du ive siècle.
  2. Théodorik III et ses successeurs promulguèrent plusieurs lois dans le but de protéger les monuments de Rome contre la destruction. Ce n’étaient pas les barbares qui les attaquaient, mais les Romains, soit par zèle religieux, soit pour y prendre des matériaux de construction. — Les plus grands ravages ont été faits sous Constant II. (Clarac, Manuel de l’histoire de l’art chez les anciens, part. II, p. 857.) — Les