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frontières qu’elles étaient elles devinrent aussi intérieures. De gré ou de force, les peuplades chargées de la défense des limites, et qu’en cas de péril on était souvent contraint d’abandonner à elles-mêmes, ces peuplades faisaient de fréquentes transactions avec les assaillants. Il fallait bien que l’empereur finît par ratifier ces accords dont sa faiblesse était la première cause. De nouveaux soldats étaient enrôlés à la solde de l’État ; il leur fallait trouver les terres qu’on leur avait promises. Souvent mille considérations s’opposaient à ce qu’on les leur assignât sur des frontières qui, d’ailleurs, étaient encombrées de leurs pareils. Puis, ce n’était pas là qu’on avait chance de rencontrer des propriétaires maniables, disposés à se laisser déposséder sans résistance. On chercha cette espèce débonnaire où on savait qu’elle était, dans toutes les provinces intérieures. Par une sorte d’immunité résultant de la suprématie d’autrefois, l’Italie fut exceptée aussi longtemps que possible de cette charge  ; mais on ne se gêna pas avec la Gaule. On mit des Teutons à Chartres  ; Bayeux vit des Bataves  ; Coutances, le Mans, Clermont furent entourés de Suèves ; des Alains et des Taïfales occupèrent les environs d’Autun et de Poitiers  ; des Franks s’installèrent à Rennes (1)[1]. Les Gaulois romanisés étaient gens de bonne composition  ; ils avaient appris la soumission avec les collecteurs impériaux. A plus forte raison n’avaient-ils rien à opposer au Burgonde ou au Sarmate, présentant d’un ton péremptoire l’invitation légale de céder la place.

Il ne faut pas oublier une minute que ces revirements de propriété étaient, suivant les notions romaines, parfaitement légitimes. L’État et l’empereur, qui le représentait, avaient le droit de tout faire au monde ; il n’existait pas de moralité pour eux : c’était le principe sémitique. Du moment donc que celui qui donnait avait le droit de donner, le barbare qui bénéficiait de cette concession avait un titre parfaitement régulier à preudre. Il se trouvait du jour au lendemain propriétaire,

(1) Dans l’île de Bretagne, les colons barbares, fort nombreux, ne portaient pas le nom ordinaire de læti, on les appelait gentiles. (Palsgrave, Rise and Progress of the English Commonwealth, t. I, p. 355.)


  1. (1) Dans l’île de Bretagne, les colons barbares, fort nombreux, ne portaient pas le nom ordinaire de læti, on les appelait gentiles. (Palsgrave, Rise and Progress of the English Commonwealth, t. I, p. 355.)