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pour se conserver cette bienveillance au prix d’un dévouement sans bornes.

Cette combinaison d’effets et de causes plaisait aux politiques de l’antiquité. Leur sagesse l’approuvait, et, si les gens qui avaient à en souffrir pouvaient s’en plaindre, la morale publique acceptait, sans plus de scrupules, un système jugé utile à la solidité de l’État, un système consacré par les lois, et qui de plus avait pour excuse d’avoir été toujours et partout pratiqué par les nations dont un esprit cultivé pouvait invoquer les exemples.

Dès le temps des premiers Césars, on crut devoir apporter quelques modifications à la simplicité brutale de ce mécanisme. L’expérience avait prouvé que les colonisations de vétérans italiotes, asiatiques ou même gaulois méridionaux, ne mettaient pas suffisamment les frontières du nord à l’abri des incursions de voisins trop redoutables. Les familles romanisées reçurent l’ordre de s’éloigner des limites extrêmes, puis l’on offrit à tous les Germains cherchant fortune, et le nombre n’en était pas médiocre, la libre disposition des terrains restés vacants, le titre un peu oppressif quelquefois d’amis du peuple romain et, ce qui semblait promettre davantage, l’appui des légions contre les agressions éventuelles des ennemis de l’empire.

Ce fut ainsi que, par la propre volonté, par le choix libre du gouvernement impérial, des nations teutoniques furent installées tout entières sur les terres romaines. On espéra de si grands avantages de cette manière de procéder que bientôt l’on joignit aux aventuriers les prisonniers de guerre. Quand une tribu de Germains était vaincue, on l’adoptait, on en composait une nouvelle bande de gardes-frontières, en ayant soin seulement de la dépayser.

Les autres barbares n’assistaient pas sans jalousie au spectacle d’une situation si favorisée. Sans même avoir besoin de se rendre compte des avantages supérieurs auxquels ces Romains factices pouvaient prétendre, ni apercevoir d’une manière bien nette les sphères brillantes où cette élite disposait des destinées de l’univers, ils voyaient leurs pareils pourvus de propriétés depuis longtemps en bon état de culture ; ils les