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sociales auraient été transportées à d’autres dates ; elles n’en auraient pas moins eu lieu. Bref, par un autre chemin, l’humanité serait arrivée identiquement au résultat qu’elle a obtenu.

Venons à l’établissement des Germains par grandes masses au sein de la romanité, à la façon dont il s’opéra et à la manière dont il doit être jugé.

Les empereurs de race teutonique avaient à leur disposition, pour procurer à l’État des défenseurs de leur sang, un moyen infaillible, qui leur avait été enseigné par leurs prédécesseurs romains. Ceux-ci l’avaient appris du gouvernement de la république, qui le tenait des Grecs, lesquels, à travers l’exemple des Perses, l’avaient emprunté à la politique des plus anciens royaumes ninivites. Ce moyen, venu de si loin et d’un emploi si général, consistait à transplanter, au milieu des populations dont la fidélité ou l’aptitude militaire étaient douteuses, des colonisations étrangères destinées, suivant les circonstances, à défendre ou à contenir.

Le sénat, dans ses plus beaux jours d’habileté et d’omnipotence, avait fait de fréquentes applications de ce système  ; les premiers Césars, tout autant. La Gaule entière, l’île de Bretagne, l’Helvétie, les champs décumates, les provinces illyriennes, la Thrace, avaient fini par être couverts de bandes de soldats libérés du service. On les avait mariés, on les avait pourvus d’instruments agricoles, on leur avait constitué des propriétés foncières, puis on leur avait démontré que la conservation de leur nouvelle fortune, la sécurité de leurs familles et le solide maintien de la domination romaine dans la contrée, c’était tout un. Rien de plus aisé à comprendre en effet, même pour les intelligences les plus rétives, d’après la manière dont on établissait les droits de ces nouveaux habitants à la possession du sol. Ces droits ne résidaient que dans l’expression de la volonté du gouvernement qui expulsait l’ancien propriétaire et mettait à sa place le vétéran. Celui-ci, forcé de se roidir contre les réclamations de son prédécesseur, ne se sentait fort que de la bienveillance du pouvoir qui l’appuyait. Il était donc dans les meilleures dispositions imaginables