Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces sociétés minuscules, où l’intercession du moindre élément nouveau développait presque instantanément ses conséquences.

Si chacune des petites communautés gauloises s’était trouvée subitement isolée, au moment même où les principes ethniques qui la composaient étaient parvenus à l’apogée de leur lutte, l’ordre et le repos, je ne dis pas de hautes facultés, auraient pu s’établir, parce que la pondération des races fusionnées s’accomplit plus facilement dans un moindre espace. Mais lorsqu’un groupe assez restreint reçoit de continuels apports de sang nouveau avant d’avoir eu le temps d’amalgamer les anciens, les perturbations deviennent fréquentes, et sont plus rapides comme aussi plus douloureuses. Elles mènent à la dissolution finale. C’était la situation des États de la Gaule lorsque les légions romaines les envahirent.

Comme les populations y étaient braves, riches, pourvues de beaucoup de ressources et, entre autres, de places de guerre fortes et nombreuses, l’envie de résister ne leur manquait pas ; mais ce qui leur manquait, on le voit, c’était la cohésion, non pas seulement entre nations, mais encore entre concitoyens. Presque partout les nobles trahissaient le peuple, quand le peuple ne vendait pas les nobles. Le camp romain était toujours encombré de transfuges de toutes les opinions, aveuglément acharnés à poignarder leurs ennemis politiques à travers la gorge de leur patrie. Il y eut des hommes dévoués, des intentions généreuses ; ce fut sans résultat. Les Celtes germanisés sauvèrent presque seuls l’antique réputation. Arvernes, ils s’élevèrent jusqu’aux prodiges ; Belges, ils furent presque déclarés indomptables par le vainqueur ; mais quant aux populations renommées comme les plus illustres, comme les plus intelligentes, celles précisément où les révolutions ne cessaient pas, les Rèmes, les Éduens, celles-là ou bien résistèrent à peine, ou bien s’abandonnèrent du premier coup à la générosité des conquérants, ou enfin, entrant sans honte dans les projets de l’étranger, reçurent avec joie, en échange de leur indépendance, le titre d’amies et d’alliées du peuple romain. En dix ans la Gaule fut domptée et à jamais soumise. Des armées qui valent bien celles de Rome n’ont pas obtenu de nos jours de si