Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il fit réunir de toutes parts les poésies nationales, et il ne tint pas à lui qu’elles n’échappassent à la destruction. Malheureusement, des nécessités d’un ordre supérieur contraignirent le clergé à tenir une conduite différente.

Il lui était impossible de tolérer que cette littérature, essentiellement païenne, troublât incessamment la conscience mal assurée des néophytes, et, les faisant rétrograder vers leurs affections d’enfance, ralentît le triomphe du christianisme. Elle mettait un tel emportement, une obstination si haineuse à célébrer les dieux du Walhalla et à préconiser leurs orgueilleuses leçons, que les évêques ne purent hésiter à lui déclarer la guerre. La lutte fut longue et pénible. La vieille attache des populations aux monuments de la gloire passée protégeait l’ennemi. Mais enfin, la victoire étant restée à la bonne cause, l’Église ne se montra nullement désireuse de pousser son succès jusqu’à l’extermination totale. Lorsqu’elle n’eut plus rien à craindre pour la foi, elle tâcha elle-même de sauver des débris désormais inoffensifs. Avec cette tendre considération qu’elle a toujours montrée pour les œuvres de l’intelligence, même les plus opposées à ses sentiments, noble générosité dont on ne lui sait pas assez de gré, elle fit pour les œuvres germaniques exactement ce qu’elle faisait pour les livres profanes des Romains et des Grecs. Ce fut sous son influence que les Eddas furent recueillies en Islande. Ce sont des moines qui ont sauvé le poème de Beowulf, les annales des rois anglo-saxons, leurs généalogies, les fragments du Chant du Voyageur, de la Bataille de Finnesburh, de Hiltibrant (1)[1]. D’autres religieux compilèrent tout ce que nous possédons des traditions du Nord, non comprises dans l’ouvrage de Saemund, les chroniques d’Adam de Brème et du grammairien Saxon ; d’autres, enfin, transmirent à l’auteur du Nibelungenlied les

  1. (1) Dans sa forme actuelle, le poème de Beowulf est du VIIIe siècle environ. (Ettmuller, Beowulfslied, Einl. LXIII.)Les événements qu’il rapporte ne sont pas postérieurs à l’an 600; et même la mort d’Hygelak, dont il fait mention, est placée par Grégoire de Tours entre 515 et 520. Ce poème semble avoir été formé de plusieurs chants différents ; on y remarque des espèces de sutures.