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passait pour incomparable. Voilà tous les dédommagements, et encore n’ai-je pas épuisé la liste des charges (1)[1].

Le mot patrie couvrait en définitive une pure théorie. La patrie n’était pas de chair et d’os. Elle ne parlait pas, elle ne marchait pas, elle ne commandait pas de vive voix, et, quand elle rudoyait, on ne pouvait pas s’excuser parlant à sa personne. L’expérience de tous les siècles a démontré qu’il n’est pire tyrannie que celle qui s’exerce au profit des fictions, êtres de leur nature insensibles, impitoyables, et d’une impudence sans bornes dans leurs prétentions. Pourquoi ? C’est que les fictions, incapables de veiller elles-mêmes à leurs intérêts, délèguent leurs pouvoirs à des mandataires. Ceux-ci, n’étant pas censés agir par égoïsme, acquièrent le droit de commettre les plus grandes énormités. Ils sont toujours innocents lorsqu’ils frappent au nom de l’idole dont ils se disent les prêtres.

Il fallait des représentants à la patrie. Le sentiment arian, qui n’avait pu résister à l’importation de cette monstruosité chananéenne, fut assez séduit par la proposition de confier la délégation suprême aux plus nobles familles de l’État, point de vue conforme à ses idées naturelles. À la vérité, dans les époques où il avait été livré à lui-même, il n’avait jamais admis que les vénérables distinctions de la naissance constituassent un droit exclusif au gouvernement des citoyens. Désormais il était assez perverti pour admettre et subir les doctrines absolues, et, soit que l’on conservât, dans les nouvelles constitutions, un ou deux magistrats suprêmes appelés tantôt rois, tantôt archontes, soit que la puissance exécutive résidât dans un conseil de nobles, l’omnipotence acquise à la patrie fut



(1) Les modernes admirateurs du patriotisme grec l’exposent tous, à peu de choses près, comme M. Mc. Cullagh. Voilà la définition de cet économiste : « However they (the greek states) might differ in internal forms, the but of all was to make every free man feel himself a part of the state and so to organise the state as to concentrate its power, when required, in favour of the least of its injured members or for the punishment of the most powerful contemner of the law. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 142.) — Ces principes-là peuvent s’écrire ou se dire ; mais personne ayant le sens commun, n’ignore qu’ils sont impraticables, et, par conséquent ne valent pas ce qu’ils coûtent.

  1. (1) Les modernes admirateurs du patriotisme grec l’exposent tous, à peu de choses près, comme M. Mc. Cullagh. Voilà la définition de cet économiste : « However they (the greek states) might differ in internal forms, the but of all was to make every free man feel himself a part of the state and so to organise the state as to concentrate its power, when required, in favour of the least of its injured members or for the punishment of the most powerful contemner of the law. » (Mc. Cullagh, t. I, p. 142.) — Ces principes-là peuvent s’écrire ou se dire ; mais personne ayant le sens commun, n’ignore qu’ils sont impraticables, et, par conséquent ne valent pas ce qu’ils coûtent.