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ils s’engagent en foule à la solde des pionniers qui s’offrent à leur faire tenter la fortune au milieu des indigènes du nouveau monde et dans les prairies les plus dangereuses de l’Ouest (1)[1]. C’est là certainement de quoi répondre, d’une manière suffisante, aux exagérations anciennes et modernes.

Possesseur d’un odel, ou jouissant d’un féod, l’Arian Germain se montre à nous également étranger au sens municipal du Slave, du Celte et du Romain. La haute idée de sa valeur personnelle, le goût d’isolement qui en est la suite, dominent absolument sa pensée et inspirent ses institutions. L’esprit d’association ne saurait donc lui être familier. Il sait y échapper jusque dans la vie militaire, car chez lui cette organisation n’est que l’effet d’un contrat passé entre chaque soldat et le général, abstraction faite des autres membres de l’armée. Très avare de ses droits et de ses prérogatives, il n’en fait jamais l’abandon, non pas même de la moindre parcelle ; et s’il consent à en restreindre, à en suspendre l’usage, c’est qu’il trouve dans cette concession temporaire un avantage direct, actuel et bien évident. Il a les yeux grands ouverts sur ses intérêts. Enfin, perpétuellement préoccupé de sa personnalité et de ce qui s’y rapporte d’une façon directe, il n’est pas matériellement patriote, et n’éprouve pas la passion du ciel, du sol, du lieu où il est né. Il s’attache aux êtres qu’il a toujours connus, et le fait avec amour et fidélité ; mais aux choses, point, et il change de province et de climat sans difficulté. C’est là une des clefs du caractère chevaleresque au moyen âge et le motif de l’indifférence avec laquelle l’Anglo-Saxon d’Amérique, tout en aimant son pays, quitte aisément sa contrée natale, et, de même, vend ou échange le terrain qu’il a reçu de son père.

Indifférent pour le génie des lieux, l’Arian Germain l’est aussi pour les nationalités, et ne leur porte d’amour ou de haine que suivant les rapports que ces milieux inévitables entretiennent avec sa propre personne. Il considère de prime abord

  1. (1) L’homme qui prend à son service plusieurs chasseurs, laboureurs ou commis, et les mène dans les déserts, est appelé par eux du titre militaire de captain, bien que ce soit, au fond, un marchand ou un défricheur de forêts.