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le développement de la puissance germanique, parce qu’il contraignait l’humeur indépendante de l’Arian à abandonner au pouvoir dirigeant une autorité plus grande. Il préparait ainsi l’avènement d’institutions propres à mettre en accord les droits du citoyen et ceux de l’État, sans détruire les uns au profit exclusif des autres. Les peuples sémitisés du midi n’avaient jamais eu la moindre idée d’une telle combinaison, puisqu’il était de règle chez eux que l’État devait absorber tous les droits.

L’institution du féod amenait aussi des résultats latéraux qui méritent d’être enregistrés. Le roi qui le concédait, comme le guerrier qui le recevait, étaient également intéressés à n’en pas laisser péricliter la valeur vénale. Aux yeux du premier, c’était un don temporaire, qui pouvait rentrer dans ses mains au cas où l’usufruitier viendrait à mourir ou romprait son engagement pour aller chercher aventure sous un autre chef, circonstance assez commune. Dans cette prévision, il fallait que le domaine restât digne de servir d’appât à un remplaçant. Pour le second, posséder une terre n’était un avantage qu’autant que cette terre fructifiait ; et comme il n’avait ni le goût ni le temps de s’occuper par lui-même de la culture du sol, il ne manquait jamais de traiter, sous la garantie de son chef, avec les anciens propriétaires, auxquels il abandonnait l’entière et paisible possession d’une part, en leur donnant le reste à ferme. C’était une sage opération que les Doriens et les Thessaliens avaient très bien pratiquée jadis. Il en résulta que les conquêtes germaniques, malgré les excès des premiers moments, probablement un peu exagérés d’ailleurs par l’éloquente lâcheté des écrivains de l’histoire Auguste, furent, en définitive, assez douces, médiocrement redoutées des peuples et, sans nulle comparaison, infiniment plus intelligentes, plus humaines et moins ruineuses que les colonisations brutales des légionnaires et l’administration féroce des proconsuls au temps où la politique romaine était dans toute la fleur de sa civilisation (1)[1].

(1) En thèse générale, les prétentions des Germains, arrivés dans les contrées de domination romaine, se bornèrent à prendre un tiers des terres. (Savigny, D. Rœm. Recht im Mittelalter, t. I, p. 289.) — Les


  1. (1) En thèse générale, les prétentions des Germains, arrivés dans les contrées de domination romaine, se bornèrent à prendre un tiers des terres. (Savigny, D. Rœm. Recht im Mittelalter, t. I, p. 289.) — Les Burgondes furent des plus durs. Ils voulurent avoir la moitié de la maison et du jardin, les deux tiers de la terre cultivable, un tiers des esclaves ; les forêts restèrent en commun. Le Romain fut qualifié hospes du Burgonde. Tout guerrier doté ailleurs par le roi dut abandonner à son hôte la terre à laquelle il avait droit, et, s’il voulait vendre ce qui lui appartenait du fonds, l’hôte était le premier acquéreur légal. (Ibid., p. 254 et seqq.)